Une brique antique
Il est le dernier des Mohicans. Des plus grands historiens de la Grèce et de Rome (Jacqueline de Romilly, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, Marcel Detienne…), il ne reste de vivant que lui, Paul Veyne. Lui, le professeur au Collège de France, l’intime de Michel Foucault et de René Char, qui découvrit l’Antiquité comme on découvre l’Atlantide, en tombant par hasard sur un fragment d’amphore romaine enfoui dans sa Provence natale. À l’occasion de ses 90 ans, la collection « Bouquins » publie une sélection de ses plus grands textes. Une anthologie à son image, séduisante et provocatrice, drôle et érudite, mais d’une érudition si bien partagée qu’elle semblera, même au profane, aussi légère que les pieds du héros Achille. Dans ces pages, Veyne nous fait traverser une Antiquité baroque, à laquelle il rend toute sa beauté et son étrangeté. De l’hommage à sa chère cité de Palmyre, martyrisée par les fous d’Allah, à sa fascination pour les gladiateurs romains, « artistes maudits et prostitués de la mort », en passant par le portrait pittoresque des Césars fous qui gouvernèrent Rome ou son admiration pour « l’imagination créatrice du christianisme », Veyne dévoile au lecteur le fil d’un itinéraire intellectuel – et d’une existence qui ne fut pas épargnée par les drames. D’autres beaux chapitres complètent cette mosaïque d’intelligence et de liberté d’esprit, comme la traduction d’un chant de l’Énéide, des textes sur Ernest Pignon-Ernest, la peinture de la Renaissance ou Nietzsche, et même une préface au Prince, de Machiavel, qui, « en homme de lettres, ne détestait pas le scandale ». Ça ne vous rappelle pas quelqu’un ? Lui ! ■
Une insolite curiosité, de Paul Veyne
(Robert Laffont, collection « Bouquins », 1 152 p., 32 €).