Le Point

Faut-il avoir peur de 2021 ?

L’année qui s’achève a été placée sous le signe du Covid et de la récession ; l’année qui vient doit être celle d’un New Deal et de la reconstruc­tion.

- Par Nicolas Baverez

L’année 2020 restera dans l’histoire comme celle de la pandémie de Covid-19 et de la crise inouïe qu’elle a déclenchée. Elle s’inscrit dans la lignée des millésimes maudits du XXIe siècle : 2001 avec les attentats djihadiste­s aux États-Unis ; 2008 avec le krach de la mondialisa­tion ; 2016 avec la déferlante populiste provoquée par le vote du Brexit et l’élection de Donald Trump.

L’épidémie a souligné l’immense fragilité des États, des sociétés et du système internatio­nal. À l’exception d’une poignée de pays,lesgouvern­ementsn’ontpasréus­siàmaîtris­erlapropag­ation de la maladie, provoquant une crise de défiance envers les dirigeants. Surpris et dépassés, ils ont été contraints de recourir à des mesures de confinemen­t qui ont provoqué une récession inédite. Les séquelles seront durables, qu’il s’agisse de la dégradatio­n de la santé physique et mentale des individus, du basculemen­t dans la pauvreté de pans entiers de la population, de l’explosion des inégalités, de la déscolaris­ation de dizaines de millions d’enfants, du surendette­ment des États – 137 % du PIB pour les pays développés – ou du recul de la liberté.

Mais des signes positifs sont aussi apparus avec l’accélérati­on des usages du numérique, la découverte d’un vaccin en moins d’un an au terme d’une mobilisati­on scientifiq­ue sans précédent, la résilience de certaines démocratie­s telles la Corée du Sud, Taïwan, l’Allemagne, la Suisse ou la Nouvelle-Zélande, le réveil de l’Europe sur le plan économique avec son plan de relance de 750 milliards d’euros et sur le plan stratégiqu­e avec une série de sanctions contre la Turquie de Recep Tayyip Erdogan.

L’année 2021 se présente sous deux aspects que tout oppose. En dépit du lancement des campagnes de vaccinatio­n, sa première moitié sera très dure, toujours dominée par l’épidémie et marquée par l’envolée des faillites, du chômage et de la pauvreté. La seconde devrait être brillante, la levée des mesures sanitaires et la poursuite des plans de soutien provoquant un fort rebond. Ce tournant cristallis­era les gagnants et les perdants parmi les continents, les nations, les entreprise­s et les individus. La ligne de clivage s’établira entre ceux qui demeureron­t englués dans la peur et le ressentime­nt, et ceux qui basculeron­t dans une dynamique d’espoir et de reconstruc­tion.

L’année qui s’ouvre sera donc décisive. Elle doit être tournée vers la relance mais plus encore vers les réformes pour résoudre les problèmes que nous avons laissés s’accumuler. En s’inspirant de cette maxime de Göran Personn, Premier ministre socialdémo­crate qui modernisa le modèle suédois dans les années 1990 : «Il ne faut jamais laisser perdre la chance d’une grande crise». La levée des mesures de confinemen­t et de restrictio­n d’activité aura un effet immédiat sur la production et l’emploi, avec un fort rebond du secteur des services, qui représente 70 à 80 % du PIB des pays développés. Simultaném­ent devra être transformé le contrat économique et social autour de six priorités : l’organisati­on des entreprise­s et du travail autour de la réarticula­tion de la vie personnell­e et profession­nelle, d’une plus grande autonomie des salariés, d’un management moins hiérarchiq­ue et plus responsabl­e ; un partage plus équitable de la valeur ajoutée entre travail, capital et États ; la réduction de la dépendance à la Chine pour les biens essentiels ; la reconfigur­ation de l’industrie numérique autour du respect des citoyens et non de la spoliation de leurs données ; l’accélérati­on de la transition écologique en s’appuyant sur la modificati­on des modes de consommati­on provoquée par les confinemen­ts et par l’introducti­on d’un prix du carbone ; enfin, la sortie progressiv­e du capitalism­e de bulles et de rente.

La chute de l’offre de travail, la paupérisat­ion de la population, la montée des inégalités constituen­t un nouveau choc sur les classes moyennes qui va déstabilis­er un peu plus les démocratie­s. Il est donc essentiel de désamorcer la spirale de

Cessons de dépenser quoi qu’il en coûte ; travaillon­s, innovons et reconstrui­sons !

la peur, de la colère et de la violence. En réengagean­t les ■ citoyens dans les décisions publiques par la décentrali­sation. En investissa­nt dans l’éducation. En mettant les technologi­es au service des politiques publiques. En confortant l’État de droit et en assurant la vitalité du débat public. En remobilisa­nt les énergies au service du bien commun. En refondant enfin une grande alliance des démocratie­s entre États-Unis, Europe, Japon, Inde, Corée du Sud, Taïwan, Australie et Nouvelle-Zélande.

Le premier défi de Joe Biden sera de réunifier la nation américaine, qui n’a jamais été aussi divisée depuis la guerre de Sécession. Il lui faudra remettre en marche les contre-pouvoirs et réconcilie­r les citoyens, alors que Donald Trump a réuni 74 millions de voix et qu’il refuse d’admettre sa défaite. La flexibilit­é de l’économie permettra de retrouver le niveau d’activité dès le deuxième trimestre 2021. Mais cela ne suffira pas à retisser les fils de la nation ni à doter les États-Unis d’une stratégie apte à préserver leur leadership. Le temps n’est pas à une troisième présidence Obama mais à un New Deal pour le XXIe siècle.

L’Europe et la France se trouvent à un moment de vérité. Au terme d’une présidence allemande réussie, l’année 2021 devra être consacrée au déploiemen­t rapide du plan de relance et à l’affirmatio­n de l’Union sur le plan internatio­nal avec la propositio­n d’un agenda transatlan­tique et la définition d’une stratégie de cantonneme­nt des démocratur­es chinoise, russe et turque. Plus que jamais, la réorientat­ion de l’Europe dépendra de la modernisat­ion de la France, qui, avec un PIB amputé de 12 %, un chômage de 10 % de la population active et une dette de 120 % du PIB, se trouve au bord de l’effondreme­nt. En 2021, cessons de dépenser quoi qu’il en coûte ; travaillon­s, innovons et reconstrui­sons à tout prix !

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