Le Point

Égyptologi­e : le retour des momies

Profitant de l’absence de touristes engendrée par la crise sanitaire, les archéologu­es multiplien­t les découverte­s. Notamment à Saqqarah, la grande nécropole au sud du Caire.

- PAR BAUDOUIN ESCHAPASSE

e site de Saqqarah a tout du aradis our les égyptologu­es. Cette zone ’une re taine de ilomètr s carrés, située ne petite demi-heure de route u Caire, ompte pas moins d’une vingtain de yramides. Nombred’entre lles onten uine Certaines ne se devinent u’à d’infimes traces aissées par leurs fondations dan le able Elles furent, au total, jusqu’à un quarantain à l’Antiquité », indique ohamma Youssef, directeur de ce site archéologi­que ex ptionnel.

Miraculeus­emen épargnée la lus belle de ces constructi­ons st a pyramide degrés dite « de Djoser », nom du remier oi e la IIIe dynastie ui onta trône d’Égypte vers l’an 700 avant notre ère. ’e au pied de cet difice ’une soixantain­e e mètres de hauteur qu le inistère u Tourisme et des Antiquités gyptiennes mis en scène n grand show le novembre, au cours uquel il évoilé u public es plus récente découverte : un centaine de cercueil renfermant omies, our certaines extraordin­airement ien conservées. Ces corps ont été retrouvés pendant l’automn dans ne emi-douzaine e puits funéraires, à l’ombre du omplex monu

nt bâti par le légendaire vizir Imhotep. Ces dépouilles taient ntreposées ans des niches reus s, ar tages, usqu’à 2 mètres e profondeur, à l’est de a pyramide », étaille Mohammad oussef, qu a supervisé le recherches.

Constituée de dépouilles diverses, de statuettes, de asques et d’amulettes de la Basse Époque entre 700 et 00 avant mais ussi momies l’époque ptolémaïq 300 à 30 vant otre re), es découverte­s présentées vaient e quoi impression­ner le rand ublic. Elles n’ont

s pour utant étonné es spécialist­es, ui savent ue e plateau calcaire abrite la plus vast et urtout plus ieille nécropole connue jour dans la région. La quantité de momies a néanmoins suscité l’intérêt de égyptologu­es.

« Le nombre de sarcophage­s exhumés va permettre de conduire des études anthropolo­giques qui éclaireron­t la sociologie de cette société, la cause de la mort et l’état de santé avant le décès des sujets examinés », relève Philippe Collombert, chef de la mission française qui explore le tombeau du roi Pépi Ier, dans le secteur sud de Saqqarah. La découverte, au printemps 2018, de la tombe d’un prêtre, à deux pas de là, illustre les leçons que l’on peut tirer d’un examen approfondi des dépouilles. Amira Shaheen, professeur­e de médecine à l’université du Caire, a pu déterminer que les squelettes d’un individu décédé vers 35 ans et ceux de deux autres membres de sa famille – issus d’un caveau d’une dizaine de mètres de longueur, décoré de fresques et de statues colorées mais aussi de hiéroglyph­es honorant la mémoire d’un dénommé Wahtye – portaient les stigmates du paludisme. Une maladie que l’on ne pensait pas, jusque-là, répandue au Ve millénaire avant notre ère sur les bords du Nil.

Si Philippe Collombert a dû suspendre, cette année, l’exploratio­n de la tombe royale de l’Ancien Empire, datée de 2300 ans avant notre ère, à cause du Covid-19, il met à profit cette pause forcée pour réfléchir aux zones qu’il aimerait prospecter lors de sa prochaine campagne de fouilles. « Après avoir exploré les tombes des épouses de Pépi Ier – Ânkhnespép­y II, Inenek et Béhénou, entre autres –, je rêverais de retrouver de nouvelles sépultures de fonctionna­ires royaux susceptibl­es de nous renseigner sur les interactio­ns sociales du royaume à l’époque », indique ce professeur de l’université de Genève. Dans cet esprit, il décortique en ce moment les images prises à l’aide de moyens de fouille (drones et radars) moins invasifs que la pelle et la pioche.

Équipes internatio­nales. Exploré depuis la fin du XVIIIe siècle, Saqqarah réserve encore bien des surprises. Même si le site a livré des milliers de trésors qui figurent aujourd’hui dans les musées du monde entier, 90% de sa superficie restent encore à défricher. Dans le sillage des pionniers de l’égyptologi­e, le général prussien Heinrich Menu von Minutoli, qui vint sur place en 1821, ou Auguste Mariette, qui mit la main, en 1850, sur la statuette appelée Scribe accroupi, qui trône aujourd’ hui au L ouvre, quinze équipes internatio­nales labourent le terrain. «Il y a là des chercheurs tchèques, australien­s, japonais et américains. Et, le plus fou, c’est que le site est si grand que nous ne nous croisons presque jamais », confie Simon Thuault, chercheur à l’université Paul-Valéry de Montpellie­r, qui a fouillé sur place et effectue aujourd’hui un postdoctor­at à Berlin.

Outre l’équipe franco-suisse conduite par Philippe Collombert, une autre mission française travaille là-bas. Elle a repris en mars les fouilles d’une autre nécropole, dédiée au dieu taureau Apis. L’édifice, découvert par Mariette en 1851, est désigné sous le nom de Serapeum. L’archéologu­e Vincent Rondot en explore le labyrinthi­que sous-sol. Représenta­nt du dieu Ptah, démiurge de Memphis, Apis

90 % de la superficie du site de Saqqarah restent encore à défricher.

avait un statut spécial dans ■ le panthéon égyptien. Présenté comme un roi, il était censé garantir la fertilité des femmes et la puissance sexuelle des hommes. Son représenta­nt sur terre avait les traits d’un bovidé. « Ce taureau était considéré comme sacré », explique Alain Charron, conservate­ur en chef du musée d’Arles, spécialist­e des momies animales. Hérodote a décrit précisémen­t les rituels qui se déroulaien­t dans l’enceinte réservée à ce dieu qui prit le nom d’Épaphos dans la mythologie grecque. Plusieurs textes anciens décrivent ainsi les caractéris­tiques physiques que devait afficher la bête avant de pouvoir prétendre au rang de « réceptacle» de la divinité. Le taureau, appelé à devenir le représenta­nt terrestre de cette puissance céleste, devait arborer un pelage particulie­r : blanc tacheté de noir. Une marque sur son front devait avoir une forme triangulai­re. Une autre, sur son dos, devait ressembler à la silhouette d’un aigle. L’animal devait aussi présenter une queue fourchue et, sous la langue, une marque évoquant un scarabée.

Ce n’est qu’à ces conditions que les grands prêtres pouvaient considérer l’animal comme digne d’intégrer cette demeure sacrée. Au XVe siècle avant notre ère, sous le règne d’Amenhotep III, père d’Akhenaton et grand-père de Toutânkham­on, la mort de ce taureau donnait lieu à des funéraille­s grandioses et de nombreuses amulettes retrouvées sur place attestent que celui pour qui l’on forgeait des statuettes précieuses (le fameux « veau d’or » de la Bible) recevait des offrandes importante­s.

Tous les animaux n’étaient pas l’objet de tels égards. À un jet de pierre de la nécropole dédiée à Apis, une structure de pierre enfouie dans le sable, dédiée quant à elle à Bastet, une déesse à tête de chat, était ainsi le cadre d’un culte bien différent. Dans cet hypogée, baptisé Bubasteion en l’honneur de la divinité protectric­e des familles et singulière­ment des enfants, les félins étaient plutôt considérés comme des sortes d’ex-voto. «Des offrandes adressées à la divinité», précise Alain Charron. Dans des dizaines de fosses qui entourent ce que les Égyptiens appellent en arabe Abwab el-Qotat, « la porte des chats », les archéologu­es ont extrait des quantités impression­nantes de chats tués puis embaumés. Faute de pouvoir toutes les conserver, ces momies de chat onte été souvent broyées, au XIX siècle, pour servir d’engrais en Grande-Bretagne !

Fauves. Dans Les Secrets de la tombe de Saqqarah, un documentai­re de James Tovell actuelleme­nt diffusé sur Netflix, on découvre qu’au milieu de ces centaines de momies de chats a été retrouvé, en 2019, un fauve embaumé. L’archéozool­ogue Salima Ikram y déclare qu’il s’agit du premier lionceau à avoir été retrouvé sur place. En1996, une équipe française, conduite par Alain Zivie, avait déjà découvert les restes d’un lion non loin de là. Au coeur d’une tombe contempora­ine de la XVIIe dynastie abritant une femme de la cour d’Akhenaton – prénommée Maïa et somptueuse­ment ornée de bas-reliefs la représenta­nt jeune, portant sur ses genoux un enfant qui pourrait être Toutânkham­on –, les archéologu­es ont eu la surprise de découvrir un squelette de gros félin qui, après analyse, s’est révélé être celui d’un lion mâle.

« Il est rare de mettre la main sur de telles splendeurs », s’enthousias­me Mohammad Youssef, qui participai­t alors aux fouilles comme simple archéologu­e. Lorsqu’il rêve de ses prochaines découverte­s, au coeur du Bubasteion, il lui vient parfois l’image d’un lion à grande crinière, enroulé dans des bandelette­s colorées. La découverte d’une telle momie, évoquant le dieu Mahes, fils de Bastet, serait le couronneme­nt de sa carrière

Faute de pouvoir toutes les conserver, des momies de chat ont été broyées, au XIXe siècle, pour servir d’engrais en Grande-Bretagne !

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 ??  ?? Au-delà. L’une des chambres funéraires découverte­s cet automne à Saqqarah (Égypte). Une centaine de sarcophage­s ont été mis au jour.
Au-delà. L’une des chambres funéraires découverte­s cet automne à Saqqarah (Égypte). Une centaine de sarcophage­s ont été mis au jour.
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Archipel. Entre la nécropole d’Abousir, au nord, et celle de Dahchour, au sud, le plateau de Saqqarah compte des centaines de mastabas, dont le plus célèbre est la pyramide à degrés du roi Djoser.
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Spectacle. Exposition, le 14 novembre, des trésors récemment découverts à Saqqarah.
 ??  ?? Fierté nationale. Le Premier ministre, Moustafa Madbouli (au centre) et le ministre du Tourisme et des Antiquités égyptienne­s, Khaled el-Anany (à dr.), à Saqqarah, le 20 octobre.
Fierté nationale. Le Premier ministre, Moustafa Madbouli (au centre) et le ministre du Tourisme et des Antiquités égyptienne­s, Khaled el-Anany (à dr.), à Saqqarah, le 20 octobre.
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Culte. Les sous-sols de Saqqarah regorgent de momies animales : félins (ci-dessus), ibis, babouins, crocodiles, cobras, scarabées…

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