L’indéboulonnable Donald Trump
Le chaos laissé par le président sortant et le ressentiment de ses électeurs façonneront pour longtemps la politique américaine.
Il entendait restituer à l’Amérique sa grandeur : « Make America great again », disait-il. Hélas ! Il l’a rapetissée comme aucun de ses prédécesseurs. Jusqu’au bout, Donald Trump a nié la légalité de l’élection de son successeur Joe Biden, malgré les 62 décisions de justice la confirmant. En propageant le grand mensonge de l’« élection volée », il a ridiculisé la valeur universelle de la démocratie libérale. Pire, en incitant les émeutiers à s’en prendre le 6 janvier aux élus du Congrès, qui validaient le scrutin, il a encouragé tous les autoritaires de la planète à violer les règles constitutionnelles. Le Turc Recep Tayyip Erdogan ne s’y est pas trompé, qui a raillé le spectacle offert par le « soi-disant berceau de la démocratie ». L’assaut de foules excitées contre un Parlement a certes de nombreux précédents en démocratie. En France, les factieux d’extrême droite visaient, le 6 février 1934, le Palais-Bourbon. Mais l’intrusion dans le Capitole est unique, car elle a été encouragée, sinon fomentée, par le président des États-Unis luimême. La tache que Donald Trump laisse sur l’histoire américaine est indélébile.
Son personnage est tout aussi ineffaçable. Plus de 74 millions d’électeurs lui ont apporté leur suffrage le 3 novembre, malgré quatre années de transgression répétée des valeurs démocratiques, malgré la pandémie qui a tué plus de 375 000 Américains,
malgré la récession économique la plus grave depuis 1929. Les sondages montrent qu’une majorité de militants républicains et une large part de l’électorat continuent, malgré les violences du Capitole, de le soutenir. Son pouvoir de nuisance est intact. Ce serait bien mal le connaître que de penser qu’il va s’empêcher de l’exercer. Sa candidature en 2024 est un scénario possible – il aurait 78 ans, l’âge de Biden aujourd’hui.
Quel que soit son avenir personnel, son héritage ne se dissipera pas de sitôt. Le président sortant a chevauché la crise politico-identitaire que traversent les États-Unis, il l’a attisée avec cynisme, mais il ne l’a pas créée. Elle existait avant lui, elle se poursuivra après lui. Tous ceux, et ils sont nombreux, qui se vivent comme des victimes – des inégalités économiques, des bouleversements technologiques, des évolutions sociétales, des injustices historiques, des changements démographiques – continueront à exprimer leur ressentiment tant que des réponses politiques convaincantes ne leur auront pas été apportées. Un exemple : lors de la dernière présidentielle, un tiers des électeurs jugeaient que la priorité de l’action du gouvernement devait être la préservation des emplois. Ceux-là ont voté à 82 % pour Donald Trump. Pour qui se prononce- ■
Sa candidature en 2024 est un scénario possible. Il aurait 78 ans, l’âge de Biden aujourd’hui.
■ ront-ils la prochaine fois ? Le président Biden croit qu’il peut guérir l’Amérique avec sa vision centriste et son cocktail de plan de relance économique et de hausses d’impôts. Mais un chômeur de l’Ohio ou du Michigan ne se sentira pas moins un laissé-pour-compte du simple fait que son allocation mensuelle aura augmenté. Les recettes de Biden ressemblent à s’y méprendre à celles qu’Obama avait appliquées, et qui n’avaient pas empêché l’élection de Trump en 2016.
À compter du 20 janvier, les démocrates vont tenir entre leurs mains les principaux leviers du pouvoir, à l’exception de la Cour suprême. Ce ne sera pas de trop pour aider Joe Biden à accomplir la tâche historique qu’il s’est fixée : réconcilier le pays, refonder la confiance en son gouvernement, restaurer la culture du compromis et promouvoir la tolérance. Bref, faire oublier Donald Trump afin de restituer sa grandeur à l’Amérique. On ne peut que souhaiter son succès, même si l’on reste sceptique ■