Faux frère
Les Fraternités, de Philippe Papin (Le Livre de Poche, 360 p., 7,90 €).
« C’est peut-être ça, la jeunesse, disait Deneuve dans Indochine. Croire que le monde est fait de choses inséparables : les hommes et les femmes, les montagnes et les plaines […], l’Indochine et la France. » Claude, le héros des Fraternités, croyait ça, lui aussi. Français, communiste, juif persécuté par Vichy, il est passé dans le camp vietnamien. Sauf que, là-bas, il est resté le Do Thái, « le Juif », le fils de rien et de nulle part qui finira en paria du Parti. Entre la France et le Vietnam, ballotté entre fidélités et fraternités successives, il est l’orphelin d’une histoire et d’une géographie chaotiques. Historien et épigraphiste qui occupe la chaire Histoire et sociétés du Vietnam classique à l’École pratique des hautes études, Philippe Papin apporte à ce récit subtil sur l’identité tout le poids de son érudition. C’est une fable politique et poétique, c’est une plongée dans l’une des plus grandes utopies du XXIe siècle à travers la voix de l’un de ses humiliés, et c’est un voyage prodigieux au Vietnam, aussi moite et poignant qu’une aurore de juillet sur la baie d’Along
« Attirance » et « effroi » : tels sont les sentiments mêlés que l’Allemagne inspire au Lorrain Philippe Claudel, comme il l’avoue en postface de Fantaisie allemande. « L’Allemagne a toujours été pour moi un miroir dans lequel je me vois non pas tel que je suis, mais tel que j’aurais pu être. » Cette fantaisie, au sens musical du terme, enchevêtre cinq textes tourmentés où il explore ce territoire littéraire. Écrits de manière indépendante, mais traversés des mêmes échos et retravaillés pour être associés, ils forment un roman lacunaire et troublant. Culpabilité individuelle et collective, poids de l’Histoire, forces obscures de l’art : autant d’obsessions qui traversent ces récits et leur donnent leur tonalité grave et poignante. Ein Mann, récit inaugural du livre, suit un fuyard à la fin de la guerre, qui a été du camp des bourreaux, et s’interroge soudain sur son rôle. « On avait fait
[de lui] un outil efficace. Des ordres lui étaient donnés. Il les exécutait. Il n’avait pas senti venir le chaos. » Qu’est-ce qu’être un homme ? C’est au fond l’énigme explorée par cette partition littéraire riche de surprises et de compassion pour l’humaine condition SOPHIE PUJAS
■
Fantaisie allemande, de Philippe Claudel (Stock, 170 p., 18 €).