Le Point

La France malade de sa défiance

Notre pays se méfie de tout : de l’innovation, du progrès technologi­que, des politiques, des riches… Un comporteme­nt qui coûte cher.

- par Pierre-Antoine Delhommais

L’interminab­le et insoutenab­le fermeture des cafés – du commerce, notamment – fait le bonheur des chaînes d’informatio­n en continu, en donnant à leurs nombreux débatteurs une position quasi monopolist­ique sur le marché toujours porteur des brèves de comptoir. Des propos qui, mieux que les sondages, permettent de mesurer la grande versatilit­é dont l’opinion publique fait preuve face à la crise sanitaire. À l’image de ce chroniqueu­r de LCI qui, après avoir dénoncé, lors de l’annonce de Pfizer des résultats de ses essais vaccinaux, un scandaleux « coup de com » de la multinatio­nale américaine destiné à faire monter son cours en Bourse, reproche aujourd’hui au gouverneme­nt de ne pas lui avoir acheté davantage de doses. Ces coups de gueule témoignent du climat de défiance dont souffre la France depuis des décennies, et que la crise sanitaire porte à son paroxysme. Une défiance que l’Hexagone risque de payer économique­ment très cher et dont le démarrage «tortuesque» de la campagne de vaccinatio­n constitue la dernière illustrati­on.

« Ce ne sont pas six jours qui font une différence face à la pandémie », a affirmé le ministre de la Santé, Olivier Véran. Le président délégué du Conseil d’analyse économique, Philippe Martin, estime, lui, à 2 milliards d’euros, au minimum, le coût d’une semaine de retard dans la vaccinatio­n de la population, seul moyen de permettre la réouvertur­e de pans entiers de l’économie. Le Prix Nobel d’économie Kenneth Arrow voyait dans la confiance le principal ressort du développem­ent économique d’un pays. Dans leur essai visionnair­e La Société de défiance (Rue d’Ulm), les économiste­s Yann Algan et Pierre Cahuc avaient même calculé que, pour la seule période 2000-2003, les Français auraient été plus riches de 1 500 euros chacun s’ils avaient affiché un degré de confiance envers leurs concitoyen­s aussi élevé que les Suédois, champions dans ce domaine.

La pandémie jette une lumière crue et cruelle sur les effets économique­s délétères de la défiance. Comme celle, immense, des Français à l’égard du marché, de la concurrenc­e et du profit, celle aussi, tout aussi grande, envers les riches et ceux qui font fortune, toutes responsabl­es de l’exil de milliers de talents aux États-Unis, chaque année. Ce n’est pas un hasard si Stéphane Bancel, ce Marseillai­s diplômé de Centrale et patron de la désormais célébrissi­me société américaine de biotechnol­ogies Moderna, avait choisi de quitter la France et le groupe BioMérieux il y a dix ans. Il était allé chercher dans le Massachuse­tts un environnem­ent économique et financier, mais aussi culturel et idéologiqu­e, plus favorable et surtout moins hostile à l’entreprene­uriat que chez nous. Ce n’est malheureus­ement pas tout à fait un hasard non plus si le vaccin de Sanofi risque de n’arriver qu’après la bataille épidémique.

Mais le plus inquiétant économique­ment reste cette défiance des Français, accrue par la pandémie, à l’égard du progrès technologi­que, qui apparaît pourtant plus que jamais comme le moteur de la croissance. Emmanuel Macron avait beaucoup heurté les âmes écologique­ment ultrasensi­bles en raillant « le modèle amish » des opposants à la 5G, technologi­e sans laquelle la compétitiv­ité des entreprise­s françaises se dégraderai­t fortement. Il y a quelques jours, les médias américains relataient les difficulté­s qu’éprouvent les autorités médicales pour convaincre les « amish » de l’Ohio et de Pennsylvan­ie de se faire vacciner contre le Covid-19 alors même que leur mode de vie intensémen­t religieux et communauta­ire les expose tout particuliè­rement à la circulatio­n du virus. Le chef de l’État n’a pas tort : des millions de Français sont bien des « amish » qui s’ignorent ■

Ce n’est pas un hasard si Stéphane Bancel, le patron de Moderna, a choisi de quitter la France il y a dix ans.

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«J’ai appelé ça “vaccin”. J’aurais pu faire des suppositoi­res, mais il y a une forte résistance des anti-suppo.»

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