Le Point

Danse - Hannah ou l’ardeur

Le « style français » était pour elle un rêve. La Néo-Zélandaise Hannah O’Neill l’a réalisé en intégrant le ballet de l’Opéra de Paris. Toujours fermé au public. Mais bien vivant.

- PAR BRIGITTE HERNANDEZ

«Je suis une Kiwi. Pour toujours. » Kiwi, comme le petit oiseau qui ne vole pas, cette grande beauté du ballet de l’Opéra de Paris? Eh oui ! Et chaque année, avant de se présenter en tutu devant le jury du concours de hiérarchie du ballet de l’Opéra de Paris , Hannah O’Neill, visage énigmatiqu­e à la Brancusi, bras infinis, jambes sublimant les arabesques, enfilait le tee-shirt des All Blacks et exécutait un petit haka pour se porter chance. Le haka a agi : un échelon par an jusqu’à celui de première danseuse. « Le kiwi est le symbole de la Nouvelle-Zélande et désigne ses habitants, explique-telle, d’une voix sans nulle trace d’accent. Et, comme tout Kiwi, j’ai appris à jouer au rugby ! » Ce n’est pas le seul de ses paradoxes.

Née au Japon, elle n’est arrivée au pays des kiwis qu’à l’âge de 8 ans. De sa mère, professeur­e de danse traditionn­elle japonaise, elle aurait hérité la finesse du mouvement, de son père, half back (demi arrière au rugby), une certaine force. Mais c’est à elle-même qu’elle doit sa sacrée volonté. De ses années tokyoïtes ou de celles de sa formation passées à l’Australian Ballet School, elle se souvient de son obsession à regarder, en boucle, les vidéos du ballet de l’Opéra de Paris, puis, une fois qu’elle avait raflé l’un des plus prestigieu­x prix internatio­naux, celui de Lausanne, en 2009, de rêver d’être engagée… à l’Opéra. Ce qui n’est pas une mince affaire pour les danseurs externes à l’école du ballet. Hannah l’oiseau a réussi et pris son envol.

La chorégraph­e Crystal Pite l’a vite repérée et distribuée dans ses pièces, Mats Ek aussi ; l’Israélien Hofesh Shechter ne s’est pas laissé tromper par son apparente fragilité et l’a incluse dans le groupe de filles qui faisaient trembler la scène de l’opéra Garnier. Pierre Lacotte l’a tout de suite demandée pour le rôle-titre de Paquita. Quant à William Forsythe, dont le langage exige une précision de folie doublée d’une féroce vitesse d’exécution, il lui a fait danser Pas./Parts, Approximat­e Sonata, Herman Schmerman, trois délires. Éblouissan­te mais sans esbroufe (« Pas mon genre… »). Pour Le Lac des cygnes, où elle devait remplacer une étoile en urgence (elle n’était alors que « sujet »), Hannah a appris en accéléré la partition romantique d’Odette, cygne blanc, et les redoutable­s pièges techniques de la diabolique Odile, cygne noir. Un souvenir qu’elle conserve comme un trésor. « Ah ! C’était… » L’immense scène de l’Opéra Bastille, l’intensité du corps de ballet qui la portait, le défi du double rôle. Une extase ! « Je n’ai même pas eu le temps d’avoir peur. Je dansais comme dans un rêve. Portée, transporté­e… »

Qu’est-ce qui la faisait tant rêver, à l’Opéra ? Elle sourit, étonnée qu’une telle question puisse lui être posée : « Mais la perfection ! La danse pour moi, c’était

– et c’est – l’Opéra de Paris, ses scènes, ses danseurs, son répertoire, les chorégraph­es. Tout ! Et surtout le style français ! En arrivant ici, j’en étais loin. Tout était si difficile : je ne parlais pas un mot de français. Pour assimiler ce que je voyais, j’imitais mes professeur­s, mes maîtres de ballet, mes camarades. Techniquem­ent, j’avais été formée à la méthode russe Vaganova du Mariinsky, une technique très flamboyant­e, et j’ai dû réapprendr­e à me placer, à faire d’autres épaulement­s, à affiner les ports de bras, à retravaill­er le port de tête. Le style russe est plus fou, plus extrême, le français est plus sculpté. Comment dire ? Plus classe. » Elle ajoute, soucieuse de bien traduire sa pensée : « La grande classe. » Aujourd’hui, elle perfection­ne son « style français » avec Florence Clerc, étoile de la galaxie Noureïev.

Être une danseuse étrangère dans le fief de la danse mondiale, une maison de codes et de traditions, ce fut une épreuve ? « Non. L’Opéra est une maison ouverte. Nous sommes 25 danseurs étrangers. C’est bien pour cela que nous avons demandé, dans l’appel que nombre d’entre nous ont signé, qu’il y ait encore davantage de diversité. Certaines choses doivent être repensées, mais il ne s’agit pas d’éliminer ce qui fait partie du répertoire, mais de l’expliciter. Le contexte compte. »

Récompense suprême. Les salles de Garnier et Bastille étant pour l’instant toujours fermées au public, on peut la voir dans La Bayadère, le ballet qui a été dansé une fois en direct, en décembre, sur la plateforme L’Opéra chez soi (1). Mais pas dans les rôles des deux rivales, Nikiya et Gamzatti, qu’elle a pourtant déjà dansés au Mariinsky de SaintPéter­sbourg, envoyée par Benjamin Millepied, qui avait foi en elle et lui a donné ses premiers rôles de soliste. Dommage… « Mais ces places reviennent en premier lieu aux étoiles et elles doivent danser. Ce que j’ai à faire est beau aussi, des places importante­s comme celui de la soliste indienne ou l’une des Ombres principale­s. L’important, c’est de danser. »

L’acte III, dit « des Ombres », est un des morceaux de bravoure qui font la réputation de l’Opéra de Paris : 22 danseuses en tutu long descendent la scène en arabesque, bras tendu devant, jambe levée lentement à l’arrière. Un chef-d’oeuvre qui ne supporte aucune imperfecti­on. Une récompense et une responsabi­lité.

Et après, quel autre rêve ? Giselle. La belle s’enflamme : « Le plus beau des rôles classiques. Le plus fort, le plus intense. Après cela… Après cela, je pourrai mourir… » Allez, un autre ? Étoile bien sûr… Le stade ultime, la récompense suprême. Mais c’est à peine si on ose le dire, « même si on ne pense qu’à cela dès qu’on entre ici ». Plus de concours à passer, seules la direction de la danse et celle de l’Opéra décident. Alors peut-être qu’un soir, un petit haka dans les coulisses…

1. Sur le site de l’Opéra de Paris, www.operadepar­is.fr.

Immatériel­le.

Hannah O’Neill, lumineuse et aérienne, était Myrtha dans le romantique « Giselle » (ci-contre), de Jean Coralli et Jules Perrot, au palais Garnier, en février 2020.

À 22 ans, elle doit remplacer en urgence une étoile du Lac des cygnes : « Je n’ai même pas eu le temps d’avoir peur. Je dansais comme dans un rêve. Portée, transporté­e… »

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