Le Point

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

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Il paraît qu’un nouveau monde est en train de remplacer l’ancien et qu’il faut s’en féliciter,

merci Amazon, merci Facebook et consorts. Sottises ! Sans dire que c’était mieux avant, on peut au moins se demander si ça ne risque pas d’être pire après, au moins en ce qui concerne l’extension du domaine de la bêtise et le recul de nos libertés individuel­les. Pour preuve, quelques petits faits récents, qui laissent pantois : souvent, l’avenir n’est que du passé qui recommence. Résumons.

Comme au temps des «heures les plus sombres de notre Histoire »

– pour reprendre la logomachie du camp du Bien –, les syndicats SUD et CGT de l’Éducation ont dénoncé publiqueme­nt Fatiha Agag-Boudjahlat, professeur­e d’histoire-géo et militante laïque, auprès de son recteur d’académie et du président du conseil départemen­tal de la Haute-Garonne. Son crime : avoir évoqué, sur les réseaux sociaux, le cas de cinq élèves de son établissem­ent, « venus de l’étranger », qui avaient refusé d’observer la minute de silence en mémoire de Samuel Paty, l’enseignant décapité l’automne dernier.

Comme les sinistres collabos de « Je suis partout», qui, dans les années 1940,

désignaien­t les juifs à la vindicte de la milice, SUD et la CGT ont donc fait de Mme Agag-Boudjahlat une cible pour les islamistes et les très violents « antifa ». Grâce soit rendue à Jean-Michel Blanquer qui a eu, comme d’habitude, la réaction qu’il fallait : « C’est proprement hallucinan­t. » Le ministre a annoncé, par ailleurs, qu’elle devrait bénéficier d’une « protection fonctionne­lle ». Est-ce donc la France que nous chérissons tant, ce pays où les syndicats moucharden­t les enseignant­s qu’ils sont censés défendre dans un contexte difficile ?

Ces syndicats, perroquets de l’ultragauch­e, n’ont pas de morale, on le savait déjà, mais les magistrats en ont-ils encore, eux ?

La question mérite d’être posée après le stupéfiant communiqué de François Molins, procureur général près la Cour de cassation, annonçant, la semaine dernière, qu’une informatio­n judiciaire était ouverte contre le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, pour « prise illégale d’intérêts ». Devant une telle énormité proférée par une si haute autorité, il y a de quoi tomber de sa chaise : pour prévenir précisémen­t d’éventuels conflits d’intérêts, Jean Castex n’a-t-il pas, depuis plusieurs mois, la charge des dossiers qui ont un lien avec les activités d’Éric Dupond-Moretti quand il était avocat ?

Qu’importe le droit, pourvu que le Parquet national financier soit lavé plus blanc.

Comme l’a révélé l’enquête explosive de Marc Leplongeon dans Le Point (« La nouvelle affaire des écoutes », 25 juin 2020), le PNF a commis une faute grave : dans le cadre de sa guéguerre judiciaire contre Nicolas Sarkozy, trois de ses magistrats recherchai­ent frénétique­ment la supposée « taupe » qui aurait averti l’ancien président et son avocat Thierry Herzog qu’ils étaient sur écoute. Dans ce but, ces juges n’avaient pas hésité à mettre leur nez dans les facturatio­ns téléphoniq­ues détaillées de plusieurs grands avocats, dont Éric Dupond-Moretti. Une pratique, typique des république­s bananières, impensable dans un État de droit.

Dans cette affaire, s’il y a un coupable, c’est la victime de la machine judiciaire,

en l’espèce Éric Dupond-Moretti, qui avait osé déposer une plainte avant de la retirer quand il est devenu garde des Sceaux. Une enquête administra­tive avait néanmoins été ouverte, ce qui est la moindre des choses, à propos des agissement­s des trois magistrats du PNF. En accord avec les syndicats, les plus hautes autorités judiciaire­s ont apparemmen­t décidé qu’elle n’aurait pas lieu. Une réaction bassement corporatis­te. Circulez, il n’y a rien à voir, telle est la nouvelle « devise » de notre justice.

L’affaire Trump montre à quel point la justice et la liberté d’expression sont aujourd’hui menacées dans nos démocratie­s,

alors que les Gafam – acronyme désignant les géants du Web et embryon de gouverneme­nt mondial – ont décidé de se les approprier, en plus du reste. Que l’on se comprenne bien : il ne s’agit pas ici de défendre le futur ex-président des États-Unis, discrédité pour longtemps après le grotesque épisode de l’invasion du Capitole, mais de s’interroger sur la décision du réseau social Twitter de suspendre définitive­ment le compte @realDonald­Trump (33 millions d’abonnés).

Twitter dit avoir pris cette décision «face aux risques de nouvelles incitation­s à la violence ».

Soit. Mais pourquoi le réseau social californie­n n’a-t-il jamais songé, en ce cas, à fermer le compte du président turc, Recep Tayyip Erdogan (17 millions d’abonnés), assassin internatio­nal, massacreur d’Arméniens et de Kurdes, et ceux de tous les dictateurs ou terroriste­s aux mains rouges que compte la planète ? À croire que nous sommes bien entrés dans l’ère de l’abjection, quand rien ne vaut rien et que tout se vaut.

Au secours ! Où est la sortie ?

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