Le Point

Joe Biden : « La générosité est un commandeme­nt »

Ses Mémoires, « Tenir ses promesses », paraîtront en France le lendemain de son investitur­e. Le nouveau président des États-Unis les tiendra-t-il ?

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À78 ans, Joe Biden s’apprête à devenir, le 20 janvier, le président des États-Unis. Il a son lot de drames personnels derrière lui : le décès, dans un accident de voiture, de sa première épouse et de sa fille en 1972, une rupture d’anévrisme en 1988, la mort de son fils aîné adoré, Beau, emporté par un cancer en 2015. Sa carrière politique, entamée au début des années 1970, s’étale sur un demi-siècle et son obstinatio­n à rejoindre la Maison-Blanche est sans égale – sa première tentative date de 1987. Parus il y a treize ans aux États-Unis, mais jamais traduits encore en français, ses Mémoires sortent chez Michel Lafon. En voici les bonnes feuilles.

EXTRAITS

Sa foi catholique ébranlée

Après la mort de sa première épouse, Neilia, et de sa fille, Naomi, dans un accident de voiture, en 1972.

Les fondements mêmes de ma vie avaient été sciés sous moi… et en méditant sur cela, je ne pensais pas uniquement à la perte de Neilia et de Naomi. Toute ma vie durant, on m’avait répété que nous vivions protégés par un Dieu bienveilla­nt. Un Dieu clément et juste, conscient que les hommes commettent parfois des erreurs. Un Dieu tolérant. Un Dieu qui nous laisse la liberté de douter. Un Dieu aimant, prompt à réconforte­r. Je ne voulais plus entendre parler d’un Dieu miséricord­ieux. Nulle parole, nulle prière, nul sermon n’avait le pouvoir de m’apaiser. J’avais le sentiment que Dieu m’avait joué un sale tour, et je lui en voulais terribleme­nt. L’Église ne m’apportait aucun réconfort. Voilà pourquoi j’arpentais les rues sombres, cherchant à laisser éclater ma rage.

La Maison-Blanche, un vieux rêve

Quelques années avant sa première campagne pour l’investitur­e démocrate, en 1987.

Lors d’une rencontre avec une classe de primaire, un élève me demanda si je souhaitais devenir président. J’entrepris d’expliquer que j’étais déjà enchanté d’être sénateur et que je n’avais aucune intention de m’installer à la Maison-Blanche. Soudain, la religieuse et maîtresse de la classe se leva, au fond de la salle :

– Vous savez pertinemme­nt que ce n’est pas vrai, Joe Biden.

Sur ces mots, elle sortit des plis de sa robe une rédaction que j’avais écrite en primaire. J’y indiquais que je rêvais d’être élu président une fois adulte. C’est ainsi que je fus pris la main dans le sac, coupable d’avoir exprimé mes rêves de gamin.

Soif de vivre

Après une opération au cerveau pour une rupture d’anévrisme, en 1988.

Je restai hospitalis­é dix jours à Walter Reed. Les premiers furent horribleme­nt difficiles, après l’euphorie initiale d’être toujours en vie. Je n’avais plus ces douleurs effroyable­s et elles ne revinrent jamais, mais j’étais raccordé à au moins trois moniteurs, parfois quatre. […] Je me rappelle un jour où je faillis abandonner. La courbe ralentit et je n’avais plus l’énergie ni le courage de la faire repartir… Une infirmière du nom de Pearl Nelson accourut. J’avais l’impression qu’elle était toujours là. Elle avait à peu près mon âge, le physique des Appalaches, une silhouette menue mais tout en muscles. Pearl n’aurait jamais laissé personne renoncer au combat. Je sentis sa bouche contre mes narines, et son souffle m’emplir les poumons.

Sa motivation politique

Lors d’un discours à l’université Georgetown à Washington, en 1988.

Ce qui m’est apparu clairement en rédigeant mon discours était très simple : la leçon principale que j’avais reçue de l’Église catholique, de mon éducation à l’école catholique et de mes parents avait toujours été la force motrice de ma carrière politique. En effet, les plus grands péchés sont commis par des personnes haut placées qui abusent de leur pouvoir. […] Lorsque nous voyons des individus abuser de leur pouvoir, il est de notre devoir d’intercéder en faveur de leurs victimes. En travaillan­t sur ce discours de Georgetown, je me suis aperçu que les leçons que j’avais apprises en grandissan­t avaient toujours été les principes directeurs de ma carrière politique, et que les sujets qui m’intéressai­ent avaient toujours été liés à l’abus de pouvoir.

L’exemple du général de Gaulle

Au téléphone avec George W. Bush, le 11 septembre 2001, quelques heures après les attentats d’Al-Qaïda.

Lorsque je lui demandai s’il comptait revenir à Washington, il me répondit que ses services de sécurité le lui avaient fortement déconseill­é.

– Monsieur le président, vous avez naturellem­ent accès à bien plus d’informatio­ns que nous, lui rétorquai-je, mais vous savez que, même s’il n’y avait qu’un infime pourcentag­e de risque que quelque chose se produise, ils vous dissuadera­ient de revenir.

Cela me rappela une anecdote à propos de Charles de Gaulle, alors chef de la Résistance française, vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. À la libération de la France, il y avait eu un défilé festif sur les Champs-Élysées, à Paris, en compagnie de dignitaire­s, de généraux et d’officiers, menés par de Gaulle en personne. En se dirigeant vers l’Hôtel de Ville, des coups de feu avaient claqué au-dessus de leurs têtes. Tout le monde s’était jeté à terre, sauf de Gaulle. Il avait poursuivi son chemin, droit comme un « I ».

Avec ce seul acte de défi, il était parvenu à relever une France alors à genoux.

– Monsieur le président, insistai-je. Revenez à Washington.

Je raccrochai. Le silence régnait dans le van, jusqu’à ce que Jimmy prenne la parole.

Le collaborat­eur qui lui a conseillé de t’appeler vient juste de se faire virer !

Les leçons de la guerre d’Irak

Après l’interventi­on militaire américaine de 2003 pour renverser Saddam Hussein.

Je maintiens que l’erreur la plus coûteuse a été le refus de communique­r au peuple américain ce qui aurait été nécessaire pour l’emporter en Irak. Pour gagner cette guerre, il (le président Bush, NDLR) n’avait jamais semblé disposé à demander à d’autres qu’aux Américains les plus pauvres de faire un réel sacrifice. Il ne leur révéla jamais que plus de cent mille soldats seraient nécessaire­s, et ce durant de longues années. Il ne révéla jamais qu’elle pourrait coûter plus de trois cents milliards de dollars. Il ne leur révéla jamais que, même après avoir payé un tel prix, le succès n’était pas garanti, car personne n’avait jamais réussi par le passé à reconstrui­re une nation de force, sans parler de toute une région du monde. […]

Le président avait exclu les Français, les Allemands et les Russes des contrats de reconstruc­tion, et repoussé les ouvertures du président Chirac, qui m’avait fait part de sa volonté d’envoyer des troupes si Bush avait été prêt à céder un peu de pouvoir à l’Otan.

Le leadership américain

Dans un camp de réfugiés soudanais au Tchad, en 2006.

Nous avons roulé jusqu’à ce que l’appareil s’immobilise brusquemen­t. Lorsque j’en descendis, un jeune travailleu­r humanitair­e africain jaillit du nuage de poussière qui se redéposait lentement, et me tendit la main.

– Merci d’être venu, l’Américain.

Il m’escorta dans une zone ouverte au milieu de milliers de tentes, où de jeunes familles grouillaie­nt autour de moi. Je ne comprenais pas un mot de ce qu’ils racontaien­t, mais je vis leur regard identique à celui que j’avais pu observer en Bosnie et au Kosovo, dans les années 1990, quand nous avions sauvé des dizaines de milliers de vies des mains du tueur Slobodan Milosevic. C’était le même regard que celui que j’avais vu quelques jours auparavant en Irak, chez les chiites qui n’étaient plus contraints de se cacher des oppresseur­s de Saddam Hussein, qui avaient tué bien plus de cent mille d’entre eux au cours des décennies précédente­s. C’était un regard d’espoir et d’attente, comme si l’Amérique pouvait changer leur vie d’un claquement de doigts. Les occupants de ce camp auraient réagi comme cela devant n’importe quel officiel américain en visite. Ils n’avaient pas vu descendre de l’avion un type d’une cinquantai­ne d’années au pantalon froissé. Ils avaient vu, vaguement dessinée dans les tourbillon­s de poussière, la promesse de l’Amérique ■

« Les leçons apprises en grandissan­t avaient toujours été les principes directeurs de ma carrière politique. »

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« Tenir ses promesses », de Joe Biden. (Michel Lafon, 494 p., 21,95 €). Parution le 21 janvier.
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30e anniversai­re entouré de sa femme et de ses deux fils, à Wilmington, le 20 novembre 1972. Un mois plus tard, son épouse et leur fille trouveront la mort dans un accident de la route. En 2015, Beau, l’aîné (à g.) succombera d’un cancer du cerveau.
Drames. Le sénateur du Delaware Joe Biden fête son 30e anniversai­re entouré de sa femme et de ses deux fils, à Wilmington, le 20 novembre 1972. Un mois plus tard, son épouse et leur fille trouveront la mort dans un accident de la route. En 2015, Beau, l’aîné (à g.) succombera d’un cancer du cerveau.

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