Variants du SARSCoV-2 : la génomique à notre secours
Les virus anglais et sud-africain risquent de provoquer une vague épidémique sans précédent. Séquencer les génomes est devenu une priorité.
Pour les scientifiques, les choses sont claires : le variant anglais va se répandre en France. Toute la question est de savoir dans quelle mesure il est déjà présent. Au 12 janvier, seule une trentaine de personnes en était porteuse. Et c’est la même musique, en mode mineur, avec le variant sud-africain du SARS-CoV-2 : trois cas confirmés. D’ores et déjà, plusieurs foyers sont scrutés en France.
Si le variant anglais inquiète tant, c’est qu’on le soupçonne fortement de se transmettre plus facilement que ses prédécesseurs. Sans être plus dangereux, il pourrait provoquer une vague épidémique sans précédent, avec beaucoup plus de contaminations et, donc, beaucoup plus de cas graves et de décès. « Si le variant anglais ne semble pas menacer l’efficacité de la vaccination, une mutation présente sur le variant sud-africain nous inquiète davantage. Sur la base de résultats expérimentaux, elle pourrait diminuer la protection acquise après une infection ou une vaccination», prévient Étienne Decroly, virologue au laboratoire architecture et fonctions des macromolécules biologiques, à Aix-Marseille Université/CNRS. Contagion augmen
tée, risque d’échapper au vaccin… La surveillance des nouveaux variants apparaît brusquement au centre de la lutte contre le Covid-19.
« Quand le variant anglais est apparu, tous les virologues du monde se sont dit : “Il est déjà chez nous.” On n’en a trouvé que quelques cas, mais il doit y en avoir plus. Pour trouver, il faut chercher, et donc séquencer des génomes », lance Mylène Ogliastro, virologue, chercheuse à l’Inrae/ Université de Montpellier et viceprésidente de la Société française de virologie. Pourquoi posséder des données génomiques est-il si primordial ? C’est parce qu’elles permettent de tracer l’origine géographique du virus, de dater son apparition mais aussi d’identifier d’éventuelles mutations ou d’analyser finement la propagation de l’épidémie. Outre-Manche, les algorithmes tournent à plein régime depuis l’éclosion du SARSCoV-2 pour scruter les moindres variations de lettres (mutations et délétions) parmi les 30 000 qui composent son code génétique. Voilà comment les Anglais ont eu tôt fait de repérer le nouveau variant et comment ils ont pu suivre sa progression avec tant de précision, fournissant au reste du monde des données épidémiologiques solides à ne surtout pas prendre à la légère.
Rétention d’information. Si un tel variant avait pris son essor en France, s’en serait-on aperçu si vite ? Rien n’est moins sûr. « Pour 100 000 génomes séquencés et publiés dans les bases de données publiques anglaises, en France on en aura cent fois moins », regrette Mylène Ogliastro. Les Britanniques, eux, sont les champions du monde du séquençage des virus. « Mais c’est l’école anglaise qui veut ça ; l’analyse des génomes et la phylodynamique font partie intégrante de la culture scientifique. » Pour Jacques van Helden, codirecteur de l’Institut français de bioinformatique et professeur à l’université Aix-Marseille, « ce n’est pas tant la France qui est en retard que le Royaume-Uni qui est en avance. Ce qui me frappe, c’est que les Anglais sont très, très loin devant tout le monde», sourit-il. Chez eux, le génome du virus est séquencé chez 10% des personnes testées positives, contre moins de 1 % en France, comme dans la plupart des pays développés (voir infographie).
Si les Anglais se sont dotés d’un consortium (Covid-19 Genomics UK Consortium) pour que toutes les équipes collaborent et partagent leurs séquences, rien de tel n’existe en France. « On a l’habitude de travailler en silo, les chercheurs collaborent peu. Résultat : si on a de très bons phylogénéticiens, on ne leur demande rien, au prétexte qu’ils ne travaillent pas d’ordinaire sur les virus. Pourtant, travailler sur des génomes de moules ou de virus, c’est pareil ! Ça réduit les forces, chacun travaille dans son coin », regrette Mylène Ogliastro. Et, comme si cela ne suffisait pas, les Français ne partagent pas plus avec le reste du monde. En témoigne le faible nombre de génomes du coronavirus que ces derniers inscrivent dans la base de données internationale Gisaid (Global Initiative on Sharing Avian Influenza Data). Sur 320 000 génomes partagés, on en trouve seulement 3 000 made in France : des équipes se réservent des génomes pour leurs propres publications.
Il faut s’organiser. Alors que le virus a mis la planète à genoux, ces querelles de scientifiques en compétition font tache. C’est d’ailleurs ce que rappelaient le 3 novembre 2020, courtoisement mais fermement, l’Académie des sciences et celle de médecine : « Les données de séquence d’un virus qui a fait plus de 1 million de morts peuvent grandement contribuer à sauver des vies. Il est lourd de conséquences de ne pas les rendre accessibles le plus rapidement possible […]. Nous en appelons à la responsabilité des chercheurs et à la vigilance de leurs tutelles scientifiques ■■■
La génomique permet d’analyser finement la propagation de l’épidémie.
pour que cesse cette rétention ■ d’information qui jette le discrédit sur l’ensemble de notre communauté scientifique et médicale nationale. »
Maintenant que le variant britannique est détecté en France et dans 30 autres pays, il est temps de s’organiser. Santé publique France et les deux centres nationaux de référence (CNR Pasteur Paris et Lyon) travaillent sur les chapeaux de roue. Ils ont mis en place un système de détection et de surveillance des cas de Covid-19 dus à ces variants, en lien avec les laboratoires d’analyses. Les prélèvements positifs de chaque individu en provenance d’Angleterre ou d’Afrique du Sud doivent leur être envoyés pour séquençage, afin d’établir s’il s’agit de l’un des variants tant redoutés.
Séquençage renforcé. Heureusement, les CNR ne sont pas les seuls à posséder une capacité importante de séquençage. « Le séquençage va être renforcé. À ce jour, plusieurs dizaines de laboratoires participent sur tout le territoire, dans le cadre d’un réseau coordonné par l’ANRS Maladies infectieuses émergentes. Le Centre national de référence Virus des infections respiratoires joue un rôle essentiel de coordination de l’ensemble de la surveillance virologique et génomique sur le SARSCoV-2 », nous précise la Direction générale de la santé. À écouter Sylvie van der Werf, responsable du CNR des virus des infections respiratoires (Institut Pasteur Paris), qui a séquencé environ 600 génomes depuis le début de l’épidémie, on n’y est pas : « Pour augmenter la capacité de séquençage, il va falloir mobiliser d’autres labos en France, dans les CHU, par exemple. Une cartographie a été réalisée et une étude a été lancée pour déterminer la proportion des cas qui sont infectés par le nouveau variant.Sachant qu’il n’est pas forcément nécessaire d’atteindre le niveau de séquençage des Anglais pour faire une surveillance convenable. » Les scientifiques y travaillent car « il faut une photographie régulière des variants qui circulent à différents endroits. Il ne faut pas se limiter aux prélèvements dans les hôpitaux, il faut aussi des échantillons en provenance des Ehpad ou des cabinets médicaux », ajoute la Pr Christine Rouzioux, virologue, membre de l’Académie de médecine.
D’autres laboratoires traquent les génomes sans relâche. C’est le cas de l’Institut hospitalo-universitaire de Marseille. « Environ 3 000 génomes y ont été séquencés depuis le début de la pandémie », souligne Étienne Decroly. Sauf que le célèbre Pr Didier Raoult, qui n’a de cesse de vanter les capacités uniques en France de son laboratoire, garde secrètement quelques séquences génomiques lorsqu’elles font l’objet d’une publication scientifique en cours… Et il n’est pas le seul. Depuis le début de la pandémie, on ne chôme pas non plus du côté du Pôle biologie-pathologie dirigé par le professeur Jean-Michel Pawlotsky, à l’hôpital Henri-Mondor (Créteil, AP-HP). La plateforme de séquençage à haut débit tourne à plein régime. Depuis l’arrivée des nouveaux variants, le professeur fait ressortir des congélateurs tous les prélèvements positifs au SARS-CoV-2 effectués sur des patients ou des personnels soignants depuis deux mois, afin de vérifier qu’ils ne s’y trouvent pas. Si ces recherches ne donneront évidemment pas une image de l’emprise du variant anglais sur le sol français, on saura déjà au moins s’il circule activement dans le sud-est de la région parisienne. « Pour le variant britannique, de toute façon, nous arrivons après la bataille ! prévient JeanMichel Pawlotsky. Pas la peine de le séquencer à tout-va, il faut plutôt se concentrer sur l’apparition de nouveaux variants potentiels qui échapperaient à la vaccination. »
En effet, avec l’arrivée des vaccins, il va falloir se mettre à surveiller les mutations du virus comme le lait sur le feu. « À court terme, il est peu probable que le variant anglais échappe totalement aux vaccins. Il peut y avoir effectivement une baisse d’efficacité qu’il va falloir mesurer, mais le vaccin actuel va tout de même protéger dans cette première campagne de vaccination. En revanche, il y a un réel danger à ne pas vacciner assez de monde, et qui plus est pas assez vite ! Si on met trois ans à vacciner tout le monde, c’est le pire scénario. Plus on laissera circuler le virus, plus la probabilité d’émergence de nouveaux variants augmentera. C’est surtout ça qui m’inquiète, il faudrait une vaccination massive, rapide », insiste Mylène Ogliastro.
Alternative. En attendant que la France s’organise pour séquencer davantage et partager ses données, il existe une autre solution pour détecter les cas de SARS-CoV-2 dus au nouveau variant. « Les tests PCR actuels utilisent trois amorces, trois sondes en somme, qui vont chacune chercher un endroit du virus auquel s’accrocher. Avec le nouveau variant, l’une de ces amorces ne fonctionne pas et permet donc, par élimination, de suspecter sa présence », précise la virologue. Mais il s’agit d’une solution « dégradée ». « Cette technique permet de faire un premier tri pour identifier des prélèvements de cas positifs pour lesquels il n’y aurait pas nécessairement de notion de voyage en Angleterre, mais qui seraient susceptibles de correspondre au variant anglais. Cela ne constitue pas une preuve absolue, il faut séquencer ensuite, on n’a pas le choix », conclut Sylvie van der Werf. Pour le variant sud-africain, il n’existe pour l’heure aucune solution dégradée : c’est le séquençage ou rien
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Plus on laissera circuler le virus, plus fort sera le risque que des variants surgissent.