Série : avec En thérapie, plus besoin d’aller chez le psy !
Comment la nouvelle série du duo Nakache-Toledano a fait de la figure de l’analyste, jadis tournée en dérision, un véritable héros d’aujourd’hui.
Il y a le Dr Sobel – incarné par Billy Crystal –, psychanalyste débordé, dans l’hilarant Mafia Blues, par les angoisses de son patient mafieux, interprété par Robert De Niro. Il y a le fantastique Pr Brezzi d’Habemus papam – incarné par Nanni Moretti –, qui entreprend de psychanalyser, et ce n’est pas aisé, un souverain pontife déprimé. Il y a évidemment tous les psys – les « shrinks » – des films de Woody Allen, partenaires souvent invisibles mais omniprésents de ses personnages névrosés. Et comment oublier le Dr Melfi, la géniale analyste de la série Les Soprano, à laquelle l’American Psychoanalytic Association a tenu à rendre un hommage officiel tant son rôle et le transfert massif que son analysant Tony Soprano opère sur elle ont sonné juste durant six saisons ? Le cinéma et la psychanalyse sont nés en même temps, à la fin du XIXe siècle. Et le psy est depuis toujours un rôle de fiction rêvé… Mais un rôle pensé la plupart du temps au second degré, moqué, échouant à soulager les angoisses d’un petit milieu souvent caricatural ou bien décalé et cocasse face aux mafieux, aux papes et aux autres patients peu communs que le scénario impose en général sur son divan.
Sauf que, dans la galerie des psys fictifs inoubliables, il faudra désormais compter avec le Dr Dayan, héros de la série En thérapie. Dayan (Frédéric Pierrot) et son air tourmenté, son parquet qui craque, ses grandes fenêtres donnant sur les toits de Paris et ses doutes de psychanalyste malmené. Un psy banal et plutôt épuisé, qui reçoit des patients comme vous, comme moi… En thérapie, adapté de la série israélienne BeTipul, relève, pour sept semaines de diffusion correspondant à sept semaines de thérapie, le pari un peu fou du scénariste israélien Hagai Levi :
Dans la galerie des psys fictifs inoubliables, il faudra désormais compter avec le Dr Dayan, psy banal et plutôt épuisé, qui reçoit des patients comme vous, comme moi.
montrer, dans un quasi-huis clos et un champ-contrechamp constant, ce qui se joue à la fois de très ordinaire et de complètement fascinant entre un psychanalyste et ses différents patients. Depuis sa diffusion en Israël en 2005, la série a déjà été adaptée dans treize pays – notamment aux États-Unis, avec In Treatment et l’acteur Gabriel Byrne –, avec chaque fois ou presque un immense succès… Pourtant, le dénuement du dispositif est total – deux personnages face à face, un simple dialogue. Et le psy, loin de toute caricature ou de tout exotisme, est peint en antihéros d’une aventure qui souvent, d’ailleurs, le dépasse.
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Car il en bave, Dayan… Au lendemain des ■ attentats de 2015, alors que la mort rôde encore dans les rues de Paris, son cabinet du 11e arrondissement se transforme en chaudron où se mêlent, dans un maelström qu’il peine à contrôler, la rage de ses patients et sa vie personnelle partant à la dérive. Ce sont les réalisateurs Éric Toledano et Olivier Nakache, chefs d’orchestre de cette version française – coréalisée par Pierre Salvadori, Mathieu Vadepied et Nicolas Pariser –, qui ont souhaité que la série se déroule dans ce contexte si particulier de l’hiver 2015. « Parce ce que ces événements ont ébranlé le corps social tout entier, dit Éric Toledano. Or un cabinet de psy n’est pas une bulle hermétique à ce qui se passe au-dehors. »
Boule au ventre. Sur le divan de Dayan défilent donc à tour de rôle Ariane la chirurgienne et Adel le flic de la BRI, qui furent en première ligne des tueries terroristes, mais aussi Léonora et Damien, un couple en crise, et Camille – formidable Céleste Brunnquell –, une jeune nageuse aux tendances suicidaires. Et c’est peu dire que ces patients, résistant à la cure, volontiers agressifs, intrusifs et critiques, bousculent leur thérapeute, au point qu’à chaque début d’épisode le spectateur guette presque la boule au ventre leur entrée dans le cabinet. Aucun de ces personnages ne suscite d’ailleurs beaucoup d’empathie, sans doute est-ce là le défaut majeur de la série. Quant au psy, poussé dans ses retranchements, il transgresse toutes les règles de la discipline. Mais la prestation de l’acteur Frédéric Pierrot, absolument saisissant en analyste, rattrape les éventuelles invraisemblances. D’ailleurs, le comédien est si juste dans la peau de son personnage que l’on n’est nullement surpris d’apprendre qu’il est à la ville un lecteur de Freud, de Lacan et de Jung, et qu’il croit lui-même, pour les avoir éprouvées, aux vertus de la cure par la parole… « Je suis allé voir un psy pour essayer de me faire exempter de service militaire. Cela a commencé comme ça, et puis j’ai poursuivi à plusieurs périodes de ma vie, raconte-t-il. Si seulement cette série pouvait faire comprendre aux gens qui hésitent à franchir le pas que quelque chose de foncièrement humain et de bienveillant se passe en analyse… » Soucieux d’être à la hauteur du rôle, il a envoyé les premiers épisodes de la série à son propre analyste, qui l’a félicité. Et il faut dire que sur le visage très expressif de l’acteur passent, subtiles, changeantes, tumultueuses, toutes les émotions que provoquent en Dayan les récits des patients, une sorte de contre-transfert filmé en gros plan... Et on se demande de quelle manière le comédien s’y est pris pour qu’on lise ainsi sur ses traits, comme dans un livre ouvert, l’écho de ces paroles d’analysants. Frédéric Pierrot répond en souriant : « Je crois que, comme un psy, je les ai écoutées. Vraiment. »
« En thérapie » : en intégralité sur Arte.fr à partir du 28 janvier, puis le jeudi à 20h55 sur Arte TV à partir du 4 février.
« Si seulement cette série pouvait faire comprendre aux gens qui hésitent à franchir le pas que quelque chose de foncièrement humain et de bienveillant se passe en analyse… » Frédéric Pierrot, qui interprète le Dr Dayan