Le Point

Nice sous l’inoccupati­on

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Les SDF enfin acceptés à La Petite Maison ; ils s’installent par terre au soleil sur la terrasse du grand restaurant niçois, où il n’y a plus ni tables ni chaises. En revanche, ils doivent apporter leur manger car la cuisine de Nicole Rubi est fermée. Tous ces gens qui font la queue sur Jean-Médecin pour avoir un McDo : le pire cauchemar des Français gastronome­s devenu réel. Beaucoup de boutiques sont fermées, même celles qui auraient le droit d’ouvrir, et une bonne partie d’entre elles sont en vente. Cela change la ville. Raison pour laquelle les Niçois préfèrent lui tourner le dos et regarder la mer, qui n’a pas changé. Pique-nique pour tout le monde : les ados sur les galets de la plage et les adultes sur les chaises bleues de la Promenade. La distance d’un mètre est respectée, sauf par les amoureux, qui s’embrassent avant, pendant et après leur déjeuner.

Tous les vacanciers le savent : il pleut toujours quand il faut partir en excursion. Je n’étais jamais allé ni à Èze-sur-Mer ni à Èze-Village, points de départ et d’arrivée de la randonnée que faisait Nietzsche quand il habitait Nice. Le train le déposait à Èze-sur-Mer, et il entamait son ascension après avoir traversé la Basse-Corniche, dépourvue d’autos mais avec des chevaux. Le philosophe faisait son trajet en un peu plus d’une heure, c’est du moins ce qu’indique la municipali­té sur la plaque annonçant le chemin de Nietzsche. Dénivelé de 400 mètres. Mes amis et moi avons renoncé à la descente pour cause de pluie et à la montée du fait de l’heure : on n’aurait pas été de retour à Nice pour le couvre-feu.

Lectures édifiantes dans la chambre 315 de l’hôtel Aston-La Scala : L’Île de tous les vices, de JeanGabrie­l Fredet (Albin Michel 19,90€), et Le Démon de la Croisette, de Mickaël Chemloul et Vincent Colonna (J’ai lu, 8€). Jeffrey Epstein et Harvey Weinstein sont dans un bateau, c’est un yacht. Les deux tombent à l’eau. Il y en a un qui meurt dans sa cellule et un autre qui pleure dans la sienne. Ils étaient au paradis de la fortune, dont ils faisaient un enfer de l’infortune pour autrui. Vingt ans plus tôt, on les aurait appelés des obsédés sexuels et des goujats. Ils sont nés trop tard (Jeffrey en 1953, Harvey en 1952) pour échapper au qualificat­if de violeurs. La génération morale aura eu raison de la génération libertine. La vertu a triomphé du vice: c’est la Rome décadente périssant sous les larmes amères des premiers chrétiens.

L’épidémie aura été, pour chacun de nous sauf les anciens détenus, une bonne initiation à la condition pénitentia­ire : interdicti­on de sortir de sa cellule familiale après le travail. Le bracelet électroniq­ue se porte sur le visage, c’est le masque. Hier, j’ai perdu le mien dans le Vieux-Nice, après ma station quotidienn­e au kebab Pera (2, descente du Marché). J’ai pensé : et si je restais comme ça ? Tous ces gestes barrières qui n’ont fait qu’augmenter le nombre de malades. Mais une pharmacie m’a tendu les bras et je m’y suis engouffré, me demandant si je n’avais pas fini par prendre goût au confort d’avancer masqué

Pique-nique pour tout le monde : les ados sur les galets de la plage et les adultes sur les chaises bleues de la Promenade. La distance d’un mètre est respectée, sauf par les amoureux qui s’embrassent.

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La randonnée de Nietzsche quand il habitait Nice. Une heure de marche, dénivelé de 400 mètres.

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