Le Point

Mikhaïl Khodorkovs­ki « Je fais partie de ceux dont on planifiera l’éliminatio­n »

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARC NEXON ET KATIA SWAROSKAYA

Homme le plus riche de Russie au début des années 2000, Mikhaïl Khodorkovs­ki fut le premier à subir les foudres de Vladimir Poutine. Le patron de la compagnie pétrolière Ioukos incarne alors trois maux aux yeux du nouveau président. Il finance les partis d’opposition à la Douma, il noue des alliances avec les géants pétroliers américains et, surtout, il dénonce la corruption du régime. Arrêté le 25 octobre 2003, il séjournera dix ans en prison. Aujourd’hui âgé de 57 ans, il vit en exil à Londres et dirige le mouvement prodémocra­tie Russie ouverte.

Le Point: Le pouvoir de Poutine est-il menacé? Mikhaïl Khodorkovs­ki :

Il n’existe pas de menace immédiate à son encontre. Mais la situation ne cesse de se détériorer, et, s’il ne parvient pas à inverser la tendance, il va se retrouver très affaibli en 2024 au moment de l’élection présidenti­elle. Il risque alors de recourir à des moyens de répression encore plus durs.

Quel souvenir gardez-vous de vos rencontres avec lui avant votre emprisonne­ment?

En tête à tête, il donne l’impression de partager les mêmes valeurs que vous. Il est extrêmemen­t difficile de percevoir s’il est franc ou s’il joue un jeu. Un jour, en 2001, il m’a dit que « le pays était plus important que l’État ». À cet instant, j’ai songé que c’était quelqu’un de bien, doté d’une vision. Quand j’ai découvert deux ans plus tard le niveau de corruption de ses proches, notamment d’Igor Setchine, l’actuel patron de la compagnie pétrolière Rosneft, je me suis dit : « Comment est-ce possible?» Un ancien général du KGB qui a rejoint le camp démocrate m’a expliqué: «Mikhaïl, vous n’êtes quand même pas stupide au point de croire à la sincérité de ce recruteur ? »

D’où lui viennent ces traits de caractère?

Mikhaïl Khodorkovs­ki Ancien PDG du géant pétrolier russe Ioukos

Dans les années 1990, Saint-Pétersbour­g était la capitale criminelle de la Russie et l’une des organisati­ons les plus mafieuses du pays contrôlait le port. Or Poutine était en contact étroit avec elle. C’est lui qui assurait le lien avec la mairie, dont il occupait le poste de numéro deux. Sa vision du monde est née à cette époque alors qu’il était encore jeune. Et c’est une vision criminelle. Le plus grave, c’est que les gens qui l’entouraien­t alors sont toujours à ses côtés. C’est aussi sa faiblesse, car ni la loi ni l’institutio­n ne le protègent. Seule l’image de l’homme fort qu’il renvoie à son entourage lui garantit sa survie. Il suffirait que cette image s’abîme pour que les choses se compliquen­t.

Quelle est votre opinion sur Alexeï Navalny?

Je n’ai pas forcément les mêmes idées que lui, mais c’est maintenant un prisonnier politique. Je le soutiens. Il risque de passer pas mal de temps en prison. Mais je suis sûr qu’il a intégré ce risque. Poutine le relâchera après les élections législativ­es de septembre ou bien après les élections présidenti­elles en 2024. En attendant, son quotidien sera celui de tout prisonnier. Pour ma part, en dix ans, j’ai été poignardé une fois et j’ai mené quatre grèves de la faim, dont deux pour réclamer l’améliorati­on des conditions de détention de deux anciens employés. J’ai passé aussi beaucoup de temps à l’isolement.

Quel enseigneme­nt tirez-vous de cette période?

Ces dix années ont été synonymes de souffrance pour moi et ma famille. La personne qui a franchi le seuil de la prison était une personne ambitieuse et jeune, sûre de ses qualités d’homme d’affaires. Mais celle qui en est sortie est devenue l’ennemie de ce régime. Et quelqu’un qui comprend que, dans notre monde, la course à l’argent n’a aucune importance.

Vous sentez-vous menacé en exil à Londres?

Il y a quelques années le leader tchétchène Ramzan Kadirov a demandé ma tête, mais Poutine l’a empêché de me tuer. Je sais tout de même que je fais partie de ceux dont on planifiera l’éliminatio­n si un jour le chaos s’installe et que le pouvoir se sent menacé. Heureuseme­nt, dans l’administra­tion présidenti­elle, il y a encore quelques personnes opposées à ces pratiques criminelle­s et qui essaient de m’informer des dangers

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