L’élu communiste Maxime Cochard, accusé de viol sur Twitter par un jeune homme qui s’est suicidé, crie son innocence et veut échapper au tribunal de l’opinion.
Une bourrasque plus forte emporte vers l’église Saint-Gervais un petit ballon blanc déjà rabougri. « Merde, le Girard ! » Sur le ballon, il y a, au feutre noir, le nom de l’ex-adjoint à la culture d’Anne Hidalgo, accusé d’agressions sexuelles. « Girard », c’est court, ça tient sur un ballon. Comme « viol », comme « honte » et comme « Cochard », cet élu communiste de Paris âgé de 36 ans et accusé, le 21 janvier, sur Twitter, par Guillaume T., un étudiant de 20 ans, de l’avoir abusé sexuellement en 2018. Deux mois ont passé. Ce 11 mars, face à l’hôtel de ville de Paris, une poignée de militants déploient une banderole qui dit «Violeurs et complices: à bas l’impunité » et, en petit dans le coin droit, « #JusticePourGuillaume». À l’origine de la manifestation : le collectif féministe Les Grenades et le groupe Paris Queer Antifa (PQA), que Guillaume venait de cofonder. Mais Maxime Cochard et son compagnon, Victor Laby, 23 ans, lui aussi qualifié de violeur sur les réseaux sociaux, ne peuvent plus se défendre. Leur accusateur s’est suicidé le 9 février dans sa chambre d’étudiant à Nanterre.
Dans les rangs de PQA figurent des amis de l’étudiant, son cercle des dernières semaines. Le visage de Guillaume, encapuchonné de rouge, est devenu chez eux un symbole. Dans le sillage de ses accusations est né #MeTooGay, dénonçant les agressions dans le milieu homosexuel. Des centaines de témoignages, une déferlante de « On te croit » et une certitude : si un viol est dénoncé, c’est qu’il a bien eu lieu. Dès l’après-midi du 21 janvier, le Parti communiste annonçait la mise en retrait de Maxime Cochard. Dès le 22, la mairie du 14e, où il avait obtenu une délégation aux dernières municipales, faisait de même dans un message alambiqué associant « soutien à la victime » et « présomption d’innocence ».
À observer les choses d’un peu loin, on a d’abord le sentiment d’un formidable gâchis. Il y a cette mort, terrible. Il y a aussi les tremblements de Damien L., l’un des plus proches amis de Guillaume, lui aussi membre de PQA. Le 21 janvier, il a passé l’après-midi auprès de lui. Il l’a vu blêmir en découvrant l’annonce d’une plainte pour diffamation. Il l’a mis de force devant un dessin animé, pour qu’il se repose. C’est Damien encore qui, plus tard, a accompagné Guillaume au cabinet de Me Élodie Tuaillon-Hibon, familière des affaires de violences sexuelles. Le jour de sa mort, il l’a appelé plusieurs fois dans la matinée. Inquiet, il a contacté le Crous. Il s’est précipité à Nanterre en apprenant que la police et les pompiers étaient sur les lieux. « On ne m’a pas laissé entrer, dit-il. J’ai appris les détails de son suicide le soir même dans Le Parisien. J’ai passé la nuit aux urgences psychiatriques. »
Il y a, face à cette douleur-là, les figures décomposées des deux accusés. Victor Laby, dévoré de tics nerveux, bourré d’anxiolytiques, et qui lâche dans un souffle qu’il est « affreux de perdre quelqu’un qu’on n’a pas le droit de pleurer ». Maxime Cochard, très en colère, qui semble vouloir être fort pour deux. Ils n’ont cessé, l’un et l’autre, de clamer leur innocence. La citation pour diffamation publique qu’ils préparaient n’a pu être délivrée à Guillaume. Apprenant la nouvelle de sa mort, leur avocate, Me Fanny Colin, a dû rappeler son huissier en catastrophe pour qu’il n’arrive pas au pire des moments. Une autre action en justice a néanmoins été intentée contre ces affiches de PQA qui les traitent de « violeurs » et d’« assassins », et qu’ils ont retrouvées jusqu’en bas de chez eux.
Me Tuaillon-Hibon, de son côté, a déposé au nom des parents de Guillaume une plainte pour «violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner », qui englobe le viol présumé et la « campagne de dénigrement » qui a suivi, sur les réseaux sociaux, les accusations du jeune homme. « Les personnes mises en cause ont répliqué […] d’abord par la voie médiatique, pour décrédibiliser, discréditer et dénigrer Guillaume, ce qui pourrait constituer une autre violence », avait écrit l’avocate par communiqué de presse.
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Une déferlante de « On te croit » et une certitude : si un viol est dénoncé, c’est qu’il a bien eu lieu.
Cochard et Laby, qui se sont ■ pourtant contentés de dénoncer une « accusation totalement fausse », auraientils dû s’abstenir de prendre la parole publiquement ? « Ce sont des seaux entiers d’ordures qu’ils reçoivent sur la tête depuis des semaines », dénonce leur avocate, pour qui le dossier se résume à cet enjeu, effroyablement complexe: défendre l’honneur des vivants sans porter atteinte à la mémoire du mort.
La justice aura-t-elle à démêler les ressorts de l’affaire ? Le parquet de Nanterre a ouvert une enquête préliminaire en recherche des causes de la mort. Pour le procureur, le suicide ne fait aucun doute. Un rapport d’autopsie doit néanmoins être rendu, et les enquêteurs attendent des investigations techniques menées sur le téléphone et l’ordinateur de Guillaume, celui-ci n’ayant pas laissé de lettre expliquant son geste. Le dossier devrait ensuite être transmis au parquet de Paris.
Trio. La relation entre les trois hommes est à l’évidence complexe et tortueuse. Ils se rencontrent à l’automne 2018, à Paris, dans une soirée d’anniversaire dans un bar. Guillaume est alors lycéen à Metz. Il est militant de l’UNL, un syndicat lycéen, et membre actif des Jeunesses communistes. Il a coutume de parcourir la France pour des manifestations, des meetings, des assemblées. Quelques jours plus tard, en novembre, il fait son coming out sur Twitter. Victor le félicite et le soutient, Guillaume le remercie, une discussion s’engage qui tourne au flirt. Victor ne cache pas son attirance, ni qu’il est depuis plusieurs années en couple avec Maxime – un « couple libre », qui invite régulièrement des tiers à partager son lit. Le projet d’une rencontre se dessine rapidement, l’idée d’un plan à trois aussi. Guillaume n’a pas de pied-à-terre à Paris : il dormira chez eux à sa prochaine visite. Ils se retrouvent le 1er décembre 2018.
Que se passe-t-il alors ? Une relation sexuelle joyeuse et parfaitement consentie, selon Maxime et Victor. Le surlendemain, Victor et Guillaume en parlent librement, semblent en plaisanter. Guillaume dit avoir eu un peu mal, paraît parfois troublé, mais propose de revenir à Paris dès le week-end suivant. Il y aura bien d’autres relations sexuelles, jusqu’en juillet 2019. Sur Twitter ou par SMS, les deux garçons discutent beaucoup. De politique, surtout,
femmes. Place de la République, des heurts éclatent entre des groupes antifascistes et des militantes féministes opposées à la prostitution. Parmi les agresseurs: plusieurs membres de Paris Queer Antifa. Le collectif monte crescendo en puissance ces dernières semaines. Ainsi, l’un des membres de PQA, après la mort de Guillaume, a appelé à la démission de Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF, accompagné du hashtag #RousselDécapitation. Un message depuis supprimé, mais qui a été immortalisé par constat d’huissier et qui est susceptible de tomber sous le coup de la loi pour incitation à la haine.
«Orange mécanique». Le Parti apprécie fort peu la récupération politique de l’affaire. En pleine législative partielle, la conseillère municipale de Paris Danielle Simonnet (La France insoumise) s’est empressée de s’afficher avec les membres de PQA, assistant à des manifestations du collectif, au point que deux militants, Thomas B. et Adrien L., tractent désormais pour elle dans le 20e. Les mêmes se livrent à un véritable exercice de harcèlement, collant les affiches « Cochard, Laby : violeurs et assassins ». Un geste revendiqué sur la page Facebook de PQA : « Chaque fois qu’ils sortiront, ils seront confrontés à ce qu’ils ont fait . » Le militantisme permet, au nom de la liberté d’expression, les excès, les abus et les dérives qui accompagnent souvent les grands bouleversements de la société. « Mais là, ça va beaucoup trop loin, s’inquiète une responsable communiste. J’ai l’impression de voir des gamins qui joueraient à Orange mécanique. »