Anticor, coups bas et financements douteux
L’association anticorruption est en pleine tempête politique. Révélations.
«Anticor est devenue une officine politique », s’indigne Jean-Pierre Steiner, un de ses administrateurs, commissaire de police et ancien limier de la brigade financière. Des faits troublants sont à l’origine de son courroux et d’une fronde interne à l’ONG anticorruption.
Pour comprendre, il faut remonter à la plainte contre Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée, déposée en 2018 par Anticor et derrière laquelle pourrait se cacher un certain Hervé Vinciguerra. Ce riche homme d’affaires, dont la holding est basée au Luxembourg, est le principal mécène de l’association, dont il fournit jusqu’à 11 % du budget. À l’époque, l’homme souhaite aider Arnaud Montebourg, qui se verrait bien succéder à Emmanuel Macron. Ils se connaissent depuis 2015, et Vinciguerra détient 3,48 % du capital de Bleu, Blanc, Ruche.
Hervé Vinciguerra est en contact avec Jean-Christophe Picard, le président d’Anticor d’alors, et les deux hommes décident, en 2018, de s’attaquer à Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée et intime du chef de l’État. L’idée germe dans le contexte de la mise en cause du rôle d’Emmanuel Macron dans la vente controversée d’Alstom à General Electric. Anticor saisit la justice sur ce dossier en mars 2018 et le rapport d’enquête parlementaire est remis en avril 2018. Arnaud Montebourg y attaque durement son successeur à Bercy. Picard propose ainsi en mai 2018 au conseil d’administration d’Anticor de déposer plainte contre Kohler pour « prise illégale d’intérêts » et « trafic d’influence ». La mère de Kohler est la cousine germaine de la fondatrice de l’armateur MSC, avec lequel l’État négociait alors que Kohler dirigeait la branche transport de l’Agence des participations de l’État à Bercy.
Pour financer sa procédure, Anticor lance un appel aux dons: le 25 mai 2018, un virement d’Hervé Vinciguerra d’un montant de 20 000 euros arrive sur le compte LCL de l’association anticorruption. Le 29 mai 2018, la plainte est déposée. Pour le financier, qui a commencé par nier auprès du Point l’existence de ce virement, avant de le confirmer, c’est une coïncidence : « Je ne participe pas à un combat politique en faveur d’Arnaud Montebourg. J’ai simplement été séduit à un moment par son discours anticorruption », assure-t-il. Des propos qui font sourire Maxime Renahy, qui l’a croisé lors de réunions pour la création de Blast, un nouveau site Internet d’enquête, et selon qui Vinciguerra a coutume de dire : « On a toujours un maître derrière soi. »
« Le don de 20 000 euros n’était absolument pas ciblé. Il a été reçu bien après la décision du conseil d’administration de déposer plainte dans l’affaire Kohler », déclare pour sa part Élise Van Beneden, présidente actuelle d’Anticor, qui n’était pas aux manettes en 2018. Étrangement, l’association n’a pas sollicité son avocat habituel sur ce dossier, Jérôme Karsenti, mais Me Jean-Baptiste Soufron, dont c’était la première collaboration avec Anticor. Ce dernier n’est pas un inconnu pour Arnaud Montebourg. Alors ministre du Redressement productif, il avait annoncé, avec Fleur Pellerin sous sa tutelle, la nomination de Jean-Baptiste Soufron comme secrétaire général du Conseil national du numérique le 5 juillet 2012. « Hervé Vinciguerra, que je connais et estime, a effectivement souhaité m’apporter son soutien financier dans le cadre d’une possible candidature à l’élection présidentielle. En raison de sérieuses divergences de vues, nous avons renoncé à ce projet d’un commun accord, il y a deux mois », déclare Arnaud Montebourg au Point.
Complot. Dans sa lettre de démission à Anticor, en juin 2020, Françoise Verchère, opposante historique au projet d’aéroport à NotreDame-des-Landes et Prix éthique Anticor 2017, s’indignait de ce don « fléché » : « Plus grave encore est pour moi l’histoire des dons. […] J’avais dans un coin de la tête ce don important – 15 000€? 20 000€? – fléché sur l’affaire Kohler, dont je ne savais pas d’où il venait. » Interrogé sur ce financement ciblé, le magistrat Éric Alt, vice-président d’Anticor, avait répondu que la souscription n’avait rapporté que 185 euros. Au conseil d’administration du 20 février 2021, Éric Alt, qui s’opposait au dépôt d’une plainte contre l’un de ses détracteurs, justifiait ainsi sa position, selon le compte rendu du conseil d’administration que Le Point
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« Hervé Vinciguerra a souhaité m’apporter son soutien financier… » Arnaud Montebourg