Moisson de parutions
L’auteur des Microfictions joue avec les vies, réelle et imaginaire, du génie normand. Gourmand.
Il est l’homme des paris littéraires insensés. Régis Jauffret a brassé des milliers de personnages dans ses Microfictions aussi géniales que grinçantes, s’est glissé dans la peau de DSK pour La Ballade de Rikers Island (qui lui a valu un procès en diffamation de l’intéressé) ou dans celle de l’Autrichien Josef Fritzl, père pédophile qui tint sa fille captive un quart de siècle durant (Claustria). L’an dernier, il livrait son roman le plus intimiste et le plus émouvant, Papa, dans lequel il traquait le fantôme peu bavard de son père. Son nouveau pari est – encore – des plus osés : donner voix à Flaubert lui-même, ce génie absolu et « patron » des écrivains. Rien que ça ! Mais il fallait s’y attendre : chez ce maître de l’humour noir et du chatoiement du langage qu’est Jauffret, on est à mille
Pour fêter le bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert, né le 12 décembre 1821, paraissent de nombreux ouvrages, en attendant la publication des deux derniers volumes de la Pléiade, en mai. Découvrir les dessins faits par un jeune Yves Saint Laurent pour Madame Bovary (Gallimard, en avril). Lire la correspondance de l’auteur avec Tourgueniev (Le Passeur, en avril). Lire les souvenirs longtemps inédits de sa correspondante anglaise Gertrude Tennant (éd. de Fallois). Rêver l’Orient à travers les images qui l’ont nourri et celles qu’il a inspirées (L’Orient de Flaubert en images, Gisèle Séginger, Citadelles & Mazenot, en avril). Marcher sur ses pas le temps d’un séjour méconnu en Bretagne (Fantaisie vagabonde, Thierry Dussard, Paulsen, en mai).
Le relire grâce à Michel Winock, son biographe éclairé (Le Monde selon Flaubert, Tallandier, en mai)… lieues de tout hommage compassé, même en cette année du bicentenaire de la naissance de l’auteur de L’Éducation sentimentale.
Le Dernier Bain de Gustave Flaubert revisite le 8 mai 1880, jour où le romancier meurt d’une attaque cérébrale. Quelles images, quels remords ou regrets viennent le visiter ? Ses créatures de papier surgissent pour le tourmenter, à commencer par Madame Bovary, tout aussi furieuse de sa mort sordide que d’avoir été affublée d’un léger duvet au-dessus des lèvres. Jauffret malmène l’écrivain normand et varie les points de vue pour mieux jouer avec la légende. Adepte de la fiction comme meilleure voie vers la vérité, il réinvente la vie et l’oeuvre en se glissant dans les interstices laissés par les travaux des chercheurs. Il dégomme quelques mythes au passage. Le gueuloir ? « Il est vrai que j’ai toujours hurlé mes textes pour en dénicher les scories. Me croyant sur parole des générations d’auteurs m’ont imité. – Pauvres sots. La voix humaine colmate les phrases, les rythme, leur prête un éclat, une beauté qu’elles n’ont pas. » Jauffret questionne les textes, narquois souvent, attentif toujours. Après tout, et si Madame Bovary avait été violée durant ce voyage en calèche avec Léon, l’un des plus fameux hors-champs de l’histoire littéraire? Il portraiture Flaubert en aventurier de l’absolu du langage, regrettant tel choix de mot maladroit ou pleurant l’inachèvement de Bouvard et Pécuchet autant que les livres non écrits. Il le dépeint aussi en homme au soir de sa vie, et qui aurait bien voulu qu’elle se prolonge. « Il échangerait soudain tous ses livres contre un matin neuf. (…) Même une seconde un peu défraîchie, entamée, décrépite, parcimonieuse, avare, maigrelette, grevée de suite, une seconde à la dernière extrémité, une seconde tombée du haut d’une horloge et laissée pour morte sur les tomettes du vestibule.» Chemin faisant, l’écrivain d’aujourd’hui construit non sans élégance un portrait du lecteur idéal : celui qui s’affranchit de toute déférence mortifère pour mieux scruter les livres aimés avec gourmandise, légèreté et sagacité
■ Le Dernier Bain de Gustave Flaubert, de Régis Jauffret
(Seuil, 336 p., 21 €).
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