Le burn-out de la démocratie française
On se prend parfois à être nostalgique de cette époque pas si lointaine où les idées les plus bêtes qui occupaient le champ politique étaient, par exemple, les 35 heures… Aujourd’hui, il faut se résoudre à suivre le tempo imprimé par les franges fanatiques, telle l’Unef, qui a admis organiser des réunions entre « racisés », c’est-à-dire interdites aux Blancs, revendiquant ainsi une forme de ségrégation fondée sur la couleur de peau…
Est-ce l’effet de la pandémie, qui a suspendu le temps politique traditionnel ? Est-ce la conséquence du « quoi qu’il en coûte », qui a anesthésié la controverse entre libéraux et keynésiens ? Ou celle d’une opposition jusqu’ici plutôt floue (lire Le Postillon p. 115 et suivantes) ? Si ce n’est qu’une affaire de nature qui a horreur du vide, alors tout reviendra vite en ordre.
On peut aussi se rassurer en se disant qu’il y eut, dans les années 1970, le temps des trotskistes, des staliniens et autres maoïstes, qui défendaient des idéologies meurtrières et des régimes concentrationnaires. Eux aussi prospéraient dans la sphère universitaire, eux aussi croyaient que l’Histoire allait dans leur sens, car leurs adversaires se faisaient petits. En 1983, Jean-François Revel, dans Comment les
démocraties finissent, racontait déjà la « lâcheté » et le « masochisme » des Occidentaux face aux totalitarismes de l’époque. Les démocraties ont fini par l’emporter, grâce à la chute de l’URSS. Mais l’Histoire, paraît-il, ne se répète pas à l’identique.
D’autant que notre situation est plus complexe. En parallèle de l’émergence des indigénistes, « décoloniaux » et autres racialistes, accompagnés de plus ou moins près par les apprentis sorciers de l’islamisto-marxisme, se dessine l’ascension de Marine Le Pen. Une victoire de cette dernière à la présidentielle n’est plus tout à fait une vue de l’esprit. Elle est gâtée par les dérives de l’Unef et consorts, et, de surcroît, plutôt mal combattue. La stratégie généralement employée contre la patronne du RN est un peu datée, trop axée, sans doute, sur l’indignation, alors que son parti a beaucoup gommé ses références à l’extrême droite d’antan, pour prendre l’allure d’un populisme plus commun en Occident. Une sorte de trumpisme français. Ceci a certes de quoi inquiéter, mais, comme le montre l’exemple américain, peut-être pas – ou plus – suffisamment pour être un obstacle infranchissable dans l’électorat.
Et si «l’accident» se produisait, comme aux États-Unis? L’élection de Marine Le Pen serait un séisme en raison du nationalisme à front bas et du rabougrisme – la cause de nos malheurs, c’est l’étranger, hommes et marchandises – sur lesquels elle a bâti son édifice. Son admiration pour Viktor Orban, par ailleurs, apporte une idée du sens qu’elle pourrait donner à l’autorité… Il faudrait également s’attendre à un déclassement accéléré pour la France. Même si Le Pen s’est récemment convertie à l’euro – on y croit ou pas –, son projet pousserait sur la voie du Frexit, nos partenaires européens n’ayant aucune raison de se soumettre au mélenchonisme qui caractérise ses propositions économiques.
Jean-Luc Mélenchon, justement. Le leader des Insoumis a certes bien moins de chances à l’élection présidentielle, mais l’addition des scores des deux dans les sondages en dit long sur l’ambiance actuelle. Les diatribes de Mélenchon et son soutien actif à des régimes tels que celui de Maduro au Venezuela contiennent une menace d’autoritarisme qui n’a pas grandchose à envier à celle du lepénisme. Avec, en prime, une forme de sauf-conduit médiatique. On imagine, par exemple, ce qu’auraient déclenché les récents propos de Mélenchon – « Moi, je pense qu’il y a un problème avec la communauté tchétchène en
France » – si n’importe qui d’autre les avait tenus… L’accident autoritaire n’est plus totalement impossible. Il faut noter que Le Pen, Mélenchon ou tout autre prophète de la manière forte seraient grandement aidés par des inepties votées sous ce quinquennat, notamment l’extension des pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) dans le numérique. Il ne serait pas bien difficile à un pouvoir déterminé de le convertir en commission de censure.
Cela dit, il y a peut-être une forme d’anachronie à penser le burn-out démocratique seulement en termes de répression étatique. De même que les meutes numériques peuvent exercer une forme de censure par étouffement, l’insécurité diffuse peut se charger de l’intimidation physique. L’affaire de l’IEP Grenoble, dans laquelle deux enseignants ont dû être protégés par la police après leur dénonciation comme « islamophobes » par des étudiants et l’Unef, en est un exemple. « L’homme qui n’est pas intérieurement préparé à la violence est toujours plus faible que celui qui lui fait violence », écrivait Soljenitsyne (1), qui connaissait son sujet. La France est-elle préparée ?
En parallèle de l’émergence des « décoloniaux » et autres racialistes, ainsi que des apprentis sorciers de l’islamisto-marxisme, se dessine l’ascension de Marine Le Pen.