Le Point

Paris au mois de mars

- Patrick Besson

Paris au mois d’août a commencé plus tôt cette année : fin mars. Les Parisiens ont décidé de fuir la capitale comme si c’était le plein été. Ils laissent vides des rues entières pour aller s’agglutiner au bord de la mer. N’importe laquelle, du moment que ce n’est pas la Seine. Mon beau Paris, te voilà délaissé comme si tu étais moche. J’admets que ça ne t’a pas arrangé, les travaux de Mme Hidalgo. Tous ces trous de souris. Sur les voies cyclables, beaucoup moins de vélos. Les cyclistes semblent avoir abandonné Paris pour aller pédaler dans les prés, à l’air pur. Mais l’air de Paris est pur aussi depuis que les Parisiens sont partis. Ça m’a presque donné envie d’acheter une trottinett­e électrique.

Paris sans touristes ni bourgeois, les uns parce qu’ils sont restés dans leur pays et les autres parce qu’ils ont une maison ailleurs. C’est le Paris de la Commune sans les communards, puisque tout le monde rentre chez soi le soir et que les communards n’en avaient pas, de chez-soi. Sauf le cimetière du Père-Lachaise, où ils ont livré leur dernier combat avant d’y être enterrés.

Descendre, tôt le matin, de la butte Montmartre déserte. Je n’entends que le bruit léger de mes pas. Les oiseaux partis se confiner à la campagne aussi ? Le boulevard de Clichy aux hammams et sexshops fermés. Cas contact : nouvelle expression pour relation amoureuse. Je descends la rue Pigalle. Seule manifestat­ion de vie sur

Terre : des Parisiens faisant la queue devant un laboratoir­e d’analyses. Venus se faire tester ou vacciner ? Je ne leur ai pas posé la question, c’est mon côté mauvais journalist­e. À chaque fois que je passe devant le café Le Sans-Souci, j’ai deux émotions qui se rejoignent dans mon coeur silencieux : la Romy Schneider du film (Jacques Rouffio, 1982) et le Joseph Kessel du roman (Gallimard, 1936). Je m’attends toujours un peu à voir sortir du SansSouci, main dans la main, Jef et Romy. Il était mort depuis trois ans à la sortie du film et elle allait mourir juste en 1982.

La file des taxis en attente devant l’église de la Sainte-Trinité. La triste lumière verte indiquant qu’ils sont libres, c’est-à-dire sans travail, donc prisonnier­s. Le nombre de fois, en quarante-cinq ans de vie parisienne, où je n’ai pas trouvé de taxi. Les samedis soir, les jours de pluie. Depuis le début de l’épidémie, on est dans le New York des films: il suffit de lever le bras, une voiture s’arrête tout de suite. Les taxis du confinemen­t subissent, en outre, la concurrenc­e déloyale des autobus. Ceux-ci zappent un arrêt sur deux, ce qui améliore leur moyenne horaire, et personne, depuis un an, ne vient vérifier si les passagers ont ou pas un passe Navigo ou un ticket composté. Que font de leurs journées les contrôleur­s de bus qui ne les contrôlent plus ?

La pyramide du Louvre a l’air plus que jamais égyptienne, entourée de son désert humain

Je m’attends toujours un peu à voir sortir du Sans-Souci, main dans la main, Jef et Romy.

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Rue Pigalle, Le Sans-Souci, sans passants.

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