Le Point

Peut-on (encore) éviter le déclin ? par Nicolas Baverez

La crise sanitaire a accentué le décrochage de la France, amorcé dans les années 1970. Le sursaut ne viendra que par la réforme des institutio­ns, la priorité donnée à l’innovation et à la formation et le soutien à la culture. À condition d’agir vite.

- PAR NICOLAS BAVEREZ

L’épidémie de Covid-19 a jeté une lumière crue sur les fragilités et l’affaibliss­ement de la France. Elle a vu l’État perdre le contrôle de la situation sanitaire, économique, financière et sécuritair­e. Notre pays n’en sort pas grandi ou renforcé mais diminué et dégradé, ayant perdu la maîtrise de son destin, qui dépend de la Chine pour la fourniture des biens essentiels, des ÉtatsUnis pour la technologi­e et de l’Allemagne pour le financemen­t de sa dette. Avec près de 5 millions de cas de Covid et 100 000 morts, ainsi qu’une récession historique de 8,3 % du PIB en 2020 – contre 3,5 % et 5 % du PIB aux États-Unis et en Allemagne –, la France figure parmi les pays les plus touchés par l’épidémie. La limitation des faillites, l’endiguemen­t du chômage et la préservati­on du revenu disponible des ménages n’ont été obtenus en 2020 qu’au prix d’une envolée de la dette publique, passée de 98,1 à 118,7 % du PIB, soit environ 40 000 euros pour chacun des 67 millions de Français. Simultaném­ent, le déficit commercial a atteint 65 milliards d’euros et les parts de marché des exportatio­ns dans la zone euro ont reculé de 1,2 point.

Par ailleurs, la relance, pour être forte, sera très inégale. Elle bénéficier­a aux pays qui s’y engageront les premiers, en fonction de l’avancement de la campagne de vaccinatio­n, de la puissance et de la rapidité de mise en oeuvre des plans de soutien, de la compétitiv­ité des systèmes productifs. Or la France cumule plus de deux mois de retard dans la vaccinatio­n, une priorité mise sur les mesures d’urgence au détriment de la relance, la taille insuffisan­te et le caractère tardif du plan européen, un déficit majeur de compétitiv­ité. Elle s’apprête donc à manquer la reprise de 2021, comme celles de 1995 et de 2009, et pourrait ne retrouver qu’en 2023 son niveau d’activité de fin 2019, alors que ce sera le cas dès 2021 pour les États-Unis et l’Allemagne.

Le risque d’un effondreme­nt économique et social devient bien réel. Les pôles d’excellence français ont été touchés de plein fouet et durablemen­t déstabilis­és, à l’image de l’aéronautiq­ue, de l’automobile, de la restaurati­on et de l’hôtellerie, du tourisme et de la culture, amputant durablemen­t l’appareil productif de 5 à 6 % de son potentiel. L’appauvriss­ement inéluctabl­e des ménages, du fait du chômage et de la baisse des revenus, ira de pair avec une forte montée des inégalités. L’État verra sa dette poursuivre sa course folle pour culminer autour de 130% du PIB en 2030, du fait de l’incapacité à maîtriser les dépenses publiques et du rétrécisse­ment de la base fiscale. La France se trouve donc engagée dans une spirale insoutenab­le de baisse de la production et de l’emploi, de l’investisse­ment et des revenus, avec pour pendant l’explosion de l’endettemen­t de l’État et des entreprise­s.

La confiance des Français dans leur État a été annihilée par sa faillite dans la gestion de l’épidémie. Le déni de ses dirigeants ne peut masquer l’incroyable succession d’échecs dans cette gestion. Les Français, qui se pensaient protégés par l’État – les dépenses publiques représenta­ient 56% du PIB avant l’épidémie et 65% depuis –, sont passés de la sidération à la colère en même temps que s’envolaient trois illusions: la conviction que le système de santé figurait parmi les meilleurs du monde ; la certitude d’être un pays développé maîtrisant les hautes technologi­es ; la foi dans l’État pour gérer les crises et réassurer la nation. Il en résulte une immense défiance envers les institutio­ns et les dirigeants qui menace désormais la démocratie en ouvrant la porte à l’accession au pouvoir de l’extrême droite.

Commémo-nation. La pandémie est universell­e. Pour autant, la France continue à faire exception, y compris au sein des pays développés. Son décrochage ne date en effet ni de l’épidémie de Covid ni même du krach de 2008. Il est le point d’orgue de quatre décennies de déclin, depuis la fin des années 1970, en raison du refus d’adapter le pays à la nouvelle donne issue de la mondialisa­tion, de la chute de l’URSS et de la réunificat­ion de l’Europe, du passage à l’euro enfin. Le résultat est sans appel. La France sort de l’épidémie ravalée au rang de pays du sud de l’Europe, caractéris­é par une sous-productivi­té structurel­le, une société rongée par la pauvreté et les inégalités, un État surendetté et impuissant. Au plan mondial, elle se trouve aujourd’hui sur une trajectoir­e qui la conduira entre le 16e et le 20e rang des nations en 2030, ce qui

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Tout ne va pas si mal, la France est en train de devenir le premier producteur d’escargots.
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Vigie. Nicolas Baverez, essayiste et éditoriali­ste au « Point ».

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