Le jeu trouble d’Erdogan face à Poutine
En assistant l’Ukraine, victime d’une agression russe, le président turc se pose en protecteur d’une Europe incapable de se défendre elle-même.
Pour son malheur, l’Ukraine constitue le flanc oriental de l’Europe démocratique. Agressée par la Russie poutinienne, elle défend sa liberté, mais aussi la nôtre, au prix du sang: le conflitafait13000mortsenseptans.Sousprétextede«manoeuvres militaires », Moscou vient de masser 150 000 hommes, des blindés et des pièces d’artillerie aux frontières ukrainiennes. Le message envoyé par le Kremlin à Joe Biden et aux dirigeants européens est limpide : l’Ukraine fait partie de la zone d’influence russe. Son indépendance était déjà toute relative depuis la perte de son intégrité territoriale en 2014, quand Moscou a annexé la Crimée et manigancé la sécession du Donbass. Vladimir Poutine veut maintenant que l’Ukraine redevienne un État vassal.
Habile stratège, Recep Tayyip Erdogan s’est invité dans la partie. Avançant ses pions contre Moscou, le président turc a livré depuis deux ans à l’Ukraine quelques drones armés Bayraktar TB2. Ces engins de fabrication turque ont apporté la preuve de leur efficacité fin 2020 au Haut-Karabakh, où ils ont aidé les Azerbaïdjanais à vaincre les Arméniens. L’Ukraine négocie désormais avec Ankara la production sous licence de 48 drones. Erdogan fait ainsi d’une pierre trois coups : il étend son influence politique au nord de la mer Noire ; il se fait bien voir de Joe Biden et de l’Otan ; il se pose en rival de Vladimir
Poutine, même s’il est capable de s’entendre avec lui sur d’autres théâtres politiques, comme la Syrie.
Les Occidentaux, eux, font le service minimum. Le président américain, confronté à sa première grave crise internationale, offre à l’Ukraine un soutien qui manque de consistance. Il a renoncé à envoyer deux bâtiments de l’US Navy en mer Noire, alors que ces patrouilles font partie de la routine, et a proposé un sommet à Vladimir Poutine. Paris et Berlin, pour leur part, appellent à la désescalade et à la retenue. Ils continuent à miser sur le «processus de Minsk», un arrangement diplomatique qui leur donne depuis sept ans un rôle de médiateur entre Kiev et Moscou mais qui n’a pas apporté de solution, au-delà d’un cessez-le-feu régulièrement violé. L’Ukraine, pays de culture chrétienne, est un cas d’école pour les dirigeants européens, qui ambitionnent d’édifier une Union « géopolitique » et « souveraine ». Peut-on, si l’on vise l’autonomie stratégique, se contenter de laisser Turcs et Américains défendre la frontière orientale du continent ? Il y a là une contradiction cruelle.
Pour le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, l’aide turque est un pis-aller. Lui préférerait que son pays soit admis dans l’Otan. Cette perspective est pourtant inconcevable au