Lle s’invite à la ferme
Quand l’agriculture lie son destin aux nouvelles technologies.
Pour Stéphane Ermann, c’est une cause récurrente d’insomnie. Le quadragénaire mosellan possède 850 brebis et 180 hectares de pâtures. Une des causes de décès fréquentes pour les brebis : lorsqu’elles se couchent accidentellement sur le dos, leur estomac appuie sur les poumons et provoque la mort. « Cela arrive principalement quand l’herbe est bien verte, au printemps, comme en ce moment. » Il y a quelques années, il s’est offert un drone DJI Mavic Pro pour surveiller ses brebis sans se déplacer. Résultat, « quatre à cinq fois dans la journée », il chausse son casque de réalité virtuelle et détecte jusqu’à 6 kilomètres à la ronde « une brebis retournée, une autre échappée de l’enclos ou encore une clôture ouverte ». Prochaine étape : la mise au point, avec le développeur messin Didier Billard, d’un logiciel spécifique qui permettrait au drone de déterminer jour et nuit « s’il manque un piquet dans un parc, quand il n’y a plus d’eau dans la citerne ou encore si une brebis met bas dans un espace dangereux ». Et, cela, en décollant de manière autonome.
L’un des plus vieux métiers du monde entame un nouveau virage technologique en s’appuyant sur des données localisées et personnalisées, note l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Ce nouveau champ des possibles mobilise les chercheurs de la Harper Adams University, en Angleterre, et de l’université de Wageningen, aux Pays-Bas, qui planchent sur le nouveau potentiel qu’offre ce travail de précision. D’ores et déjà, l’arrivée de la robotique dans les champs rime, quand elle est bien utilisée, avec moins de pénibilité, un usage raisonné des produits de traitement et une amélioration du bien-être animal.
À Châteaubriant, dans la Loire-Atlantique, la centaine de vaches laitières du Gaec de la Mée est libre de choisir l’heure de sa traite, de jour comme de nuit. Guidé par un laser, le bras robotisé de l’automate construit par l’entreprise hollandaise Lely ajuste les tétines, désinfecte les pis, avant de procéder à une aspiration sur mesure. « Sans cet appui, explique Alicia Auffrais, nous n’aurions jamais envisagé d’avoir un troisième enfant. » Désormais, son mari, Jérôme, peut aller chercher les plus grands à l’école tout en laissant un robot réapprovisionner ses bêtes en fourrage.
Pionniers. Le robot apporte un contrôle de la qualité du lait en temps réel. Une petite révolution. « Avant, un organisme de contrôle extérieur analysait le lait une fois par mois. Maintenant, il est possible de suivre les vaches individuellement et de détecter des maladies immédiatement », ajoute Régis Liard, à la tête de la ferme de la Croix-Blanche à Vimoutiers, en Normandie. « Ce sont les problèmes de dos de ma femme, dus aux gestes répétés de la traite, qui nous ont décidés à recourir aux robots. » Et pour cause, 93 % des maladies professionnelles reconnues des agriculteurs sont des troubles musculo-squelettiques, chiffre le ministère de l’Agriculture. Les robots peuvent également aider les animaux à… faire du sport. Comme le Spoutnic mis au point par la société Tibot, en Bretagne. De la taille d’une voiture télécommandée, l’engin parcourt l’élevage, poussant les poulets à se déplacer, ce qui aère la litière. Résultat: une meilleure prise de poids et moins de prises de bec.
S’ils ont déjà conquis l’intérieur des étables, les robots commencent aussi à envahir les champs. Pionnier en la matière, l’ingénieur Gaëtan Séverac, trentenaire à l’accent du Sud-Ouest, a cofondé à Toulouse la start-up Naïo Technologies, spécialisée dans les robots de désherbage. L’un d’eux est arrivé en 2016 dans la petite exploitation familiale de Lucien Laizé, jeune semencier bio à Saint-Martin-du-Bois, dans les Pays de la Loire. Électrique, léger et compact, le robot Oz, bineuse arrimée, se faufile en toute autonomie entre les plants de haricots. Idem en Champagne, où Paul-Vincent Ariston cultive 12 hectares de vignes en conversion bio. Refusant l’épandage d’herbicides, il a trouvé une solution de remplacement avec Bakus, un robot de désherbage dévolu à la vigne et mis au point à Reims par la société Vitibot.
Non loin de Lausanne, alors que le soleil tombant illumine les montagnes du Jura, trois ingénieurs de la start-up Écorobotix peaufinent les derniers réglages de leur robot autonome Avo. Sorte de tortue géante à quatre roues, de la taille d’une petite berline, alimentée par des panneaux solaires, ce bijou de technologie roule à moins de 5 kilomètres à l’heure entre les rangées de betteraves. À l’avant, des caméras entraînées par intelligence artificielle identifient les mauvaises herbes. À l’arrière, 54 buses indépendantes pulvérisent l’herbicide à la racine. Écorobotix promet de réduire de 95 % la quantité d’herbicide utilisé et surtout d’épargner la culture : « Un pulvérisateur standard projette sans distinguer la culture de l’herbe invasive. Le produit phytosanitaire
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De la taille d’une voiture télécommandée, l’engin parcourt l’élevage, poussant les poulets à se déplacer, ce qui aère la litière.
reste, mais on veut réduire son application ■ au strict nécessaire. Grâce à notre algorithme, on a moins de 2 % de culture touchée », souligne fièrement Florent Defay, l’un des ingénieurs de la firme.
«L’agriculture de la seconde moitié du XXe siècle a été marquée par une course à la productivité dans laquelle la chimie a voulu tout simplifier, affirme Gaëtan Séverac. Or on a atteint les limites de ce modèle. La robotique va permettre de gérer des écosystèmes agricoles plus complexes mais plus durables. » En effet, la technologie embarquée apporte la précision comme l’analyse des données en temps réel. La robotique a les moyens de «cibler une plante ou [de] suivre un animal de manière individuelle, c’est la vraie révolution ! » ajoute Alain Savary, directeur général d’Axema, le syndicat français qui regroupe 90 % des fabricants d’agroéquipements.
Filière française. À la tête de l’entreprise nantaise Sitia, Fabien Arignon parie lui aussi sur cette personnalisation. À quelques kilomètres au sud de Nantes, il fait subir à son Trektor, un tracteur de presque 3 tonnes, ses derniers tests. L’ambition : un tracteur autonome, truffé de capteurs, polyvalent et à voie variable (il est possible de changer l’écartement entre les roues), s’adaptant à tous les besoins, du maraîchage à la viticulture en passant par l’arboriculture.
Pour les start-up qui arriveront à se tailler une part du gâteau, les projections sont alléchantes. Ce marché, estimé aujourd’hui à 8 milliards de dollars dans le monde, mais dont la progression annuelle dépasse 22,8 %, va jusqu’à intéresser le géant américain Google. Son
Rendre les données accessibles aidera les développeurs à mettre au point des innovations sur mesure.