Le Point

L’autrice-compositri­ce sort « Coeur », un deuxième album débordant de désir. Rencontre avec l’idole des jeunes Françaises. Et des jeunes Français ?

- PAR ANNE-SOPHIE JAHN ET CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

«Je ne peux pas oublier ton cul et le grain de beauté perdu/ Sur ton pouce, et la peau de ton dos/ Le reste je te le laisse mais je le retiens en laisse / Le souvenir ému, de ton corps nu. »

On arrive au rendez-vous avec dans la tête les paroles de son nouveau single, « Le Reste », ode au désir qui se formule: à l’écouter, on se dit que le confinemen­t est vraiment terminé. C’est la meilleure entrée francophon­e radio de ces dix dernières années. Entre le masque et la frange, on ne voit que ses yeux soulignés de khôl. Ils étaient déjà là, intenses et rieurs, lors de notre première rencontre il y a quatre ans, sur le toit du Point. Habillée entièremen­t de noir, cette joyeuse drama queen chantait alors « Pleure Clara, pleure » pour nos lecteurs tombés sous le charme de cette chic brunette partie de rien. Celle qui fut baptisée Clara en l’honneur de la chanson d’Alain Chamfort « Clara veut la Lune » a fini par la décrocher, du haut de son 1,82 mètre. Fille d’une aide-soignante sicilienne et d’un employé de banque corse, elle est aujourd’hui la voix la plus populaire de la chanson française. Sa « Grenade » l’a fait exploser : son premier album, Sainte-Victoire, a été sacré triple disque de platine et elle a remporté deux Victoires de la musique consécutiv­es (« Révélation scène » en 2019, puis « Artiste féminine » en 2020). Et si tout avait commencé avec Jacques Demy ?

Jacques Demy, l’inspirateu­r

« J’adore son écriture, sa poésie, ses couleurs… » Clara Luciani l’aime presque autant que Stéphane Bern, qu’elle continue à trouver « sexy » : « J’ai revu Les Parapluies de Cherbourg récemment, et quand Guy explique qu’il a été blessé dans un attentat à la grenade, j’ai compris que lorsque j’avais vu ce film pour la première fois, à 8 ans, le mot “grenade” était resté quelque part dans ma tête. » Elle aime tout des années 1960, « même les frigos ». La force de frappe verbale de la décennie 1965-1975 aussi, notamment les slogans de Mai 68, qui ont eux aussi inspiré « La Grenade ». « “Sous mon sein la grenade”, ça fait écho à “Sous les pavés la plage”. Le fruit et une arme à la fois : j’aime les images fortes, concentrée­s en quelques mots. » Elle confesse n’être pas très bonne musicienne – « ça tourne autour de quatre accords » –, mais pas question de se faire écrire des textes. D’ailleurs, elle a un sa-

cré joli brin de plume. Demy ne l’a pas inspirée ■ à moitié : le tube cumule près de 60 millions d’écoutes, et son souvenir est encore là dans « Le Reste », ode au désir portée par un clip archidansa­nt, très Sud et très famille : sa mère y apparaît avec des bigoudis dans un salon de coiffure. choses sont devenues plus sérieuses, on a pu dormir à l’Ibis. Quel luxe ! Je m’en souviens encore. L’Ibis, c’était le Ritz. » Depuis, elle a chanté à l’Élysée.

Confinée mais libérée

À 28 ans, toujours accompagné­e à la compositio­n d’un garçon surnommé «Sage» – Ambroise Willaume, ex-chanteur du groupe Revolver –, elle sort un album pétillant et dansant, entre Abba et France Gall, débordant de vie et de désir. On sent dans cet opus une envie d’ouvrir les fenêtres, de toucher, de faire la fête… « Je n’ai pas trouvé cette période inspirante », confie-t-elle, même si des rumeurs ont filtré – la faute à son compte Instagram – d’un séjour écossais aux côtés d’Alex Kapranos, le leader de Franz Ferdinand avec lequel elle avait déjà chanté en duo « Summer Wine », de Nancy Sinatra et Lee Hazlewood, sur un homme dépouillé après une nuit alcoolisée avec une inconnue. « Le pire, c’est que tous mes amis et ma famille m’appelaient en disant : “Toi, au moins, tu dois en profiter à fond pour écrire des chansons.” Je les ai écrites avant, en mai 2019, en tournée, dans ma loge ou dans le tourbus, chantant des mémos vocaux sur mon téléphone… Le Covid a influencé la façon dont elles ont été produites : j’ai tout fait aux antipodes de ce qu’on vivait, en les enregistra­nt comme un concert, avec 18 violoniste­s, une chorale gospel, et tous mes amis sont venus faire des claps… De la présence, enfin ! »

ment dans le regard de mon entourage… » Surtout ceux qui se moquaient d’elle à cause de sa grande taille, quand elle était adolescent­e. Les bêtas… Depuis que sur scène, en jupe, avec le groupe La Femme, elle a entendu des hommes dire en ricanant qu’elle n’avait pas été choisie pour sa voix, Clara Luciani ne porte que des pantalons. « À la base, c’est parce que j’étais mal à l’aise avec mon corps, mais c’est devenu mon style, assure-t-elle. Je me sens plus à l’aise qu’en minijupe pour donner des grands coups de pied sur scène ! Et puis on s’en fiche, non ? Si je veux sortir en minishort, je le ferai. » Elle évoque ses camarades Angèle, Juliette Armanet… « Aujourd’hui, on est quand même une bonne bande d’autrices-compositri­ces crédibles. On n’est pas juste des muses, on n’est pas là à papillonne­r autour d’auteurs en attendant qu’on nous écrive des chansons. On est “girl boss”, on fait ce qu’on veut. »

Fleur du mal

« Pendant le confinemen­t, je dessinais des vêtements et des Baudelaire… » Des Baudelaire ? « Oui, le poète, mon refuge quand j’étais jeune. Au lycée, quand les profs nous le faisaient étudier, j’avais l’impression qu’on montrait aux yeux de tous mon jardin secret. Depuis toujours, je me tourne vers lui quand j’ai un moment compliqué à surmonter, comme un trac ou une opération des dents de sagesse. » Un Baudelaire, elle en a dessiné un pour la couverture de l’édition dite définitive, non censurée, des Fleurs du Mal, sortie au printemps chez Calmann-Lévy. « Quelqu’un de la maison d’édition a dû voir ça sur Instagram et m’a écrit. J’étais super heureuse. » Son poème préféré ? Elle relève le défi et récite « La Mort des amants ». « Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères / Des divans profonds comme des tombeaux / Et d’étranges fleurs sur les étagères / Écloses pour nous sous des cieux plus beaux… »

« Cul » et censure

Certains vers de Baudelaire firent scandale en leur temps. À l’heure de la « cancel culture », lui arrive-t-il de s’autocensur­er pour ne pas effrayer son public? On évoque Gainsbourg: ça serait dur pour lui, aujourd’hui. «Je ne suis pas sulfureuse de nature», tempère-t-elle. « Pour le mot “cul” dans la chanson “Le Reste”, qui doit être la chose la plus sulfureuse que j’aie chantée, je me suis posé la question. J’en ai même parlé à mes parents. Mon père m’a dit que ça faisait bizarre ce mot, dans ma bouche, mais ça m’a convaincue de le chanter. Je ne veux pas être un cliché de fille, qui aime la poésie et ne dit pas de gros mots. Et puis, est-ce un gros mot ? Je trouve ça mignon, “cul”. On s’est amusés avec mes amis à répertorie­r les culs des chansons, si j’ose dire… “Ma main sur ton petit cul”, par exemple… Un garçon qui le chante, ça fait moins de vagues, c’est injuste. On m’a dit, ce n’est pas aussi engagé que “La Grenade”, mais je ne suis pas d’accord : le cul, c’est la suite logique de la grenade. Ça veut dire : je ne vais pas tout le temps réclamer pour avoir des droits. Il faut que je les prenne. » La bande-son de notre liberté retrouvée ?

■ Coeur (sortie le 11 juin chez Universal). En concert à l’Olympia les 17, 18 et 19 octobre, puis tournée des Zéniths.

Clara Luciani, « Le Reste »

tion, la nature vient bouleverse­r les règles qu’on pensait avoir saisies. Dunes, rivières, vent, pluie, ciel, en perpétuel mouvement, se forment et se déforment naturellem­ent, sous l’action de l’érosion ou du joueur.

Ainsi, les animaux de papier, origamis vivants et complexes qui évoluent gracieusem­ent dans les décors oniriques imaginés par Chahi et pour qui on finit par ressentir de l’empathie, ont chacun leur manière d’interagir avec leur environnem­ent. Les frêles gazelles s’affaibliss­ent si on ne les nourrit pas de boulettes de papier et les fauves multicolor­es laissent sur leur passage, à la saison des amours, des bandelette­s bariolées qui se balancent au gré des vents.

La patte de David Lynch. Point de guide pour vous donner le mode d’emploi, encore moins de repères, ni texte ni dialogue dans cette oeuvre mystérieus­e, pourtant scénarisée au cordeau et qu’Éric Chahi a pensée comme la grande énigme du vivant. « Je voulais vraiment créer cette dimension poétique et métaphysiq­ue, que chacun puisse y voir et y piocher quelque chose de différent, et se sentir libre de donner sa propre interpréta­tion. » Mais on peut tout aussi bien se contenter d’observer les parades des animaux et les couchers de soleil époustoufl­ants. Pour les décors, le concepteur s’est inspiré de ses treks dans les canyons désertique­s, à la frontière entre la Libye et l’Algérie, et de l’univers de David Lynch, dont on reconnaît les touches surréalist­es et les situations décalées. Il faudrait plusieurs heures pour avoir le temps d’apprécier Paper Beast dans ses moindres détails. Lorsque la nuit tombe sur le désert, on laisse à regret nos bêtes de papier livrées à leur sort, en priant pour qu’elles s’en sortent. Il est temps de retirer le casque, de rendre les manettes, de revenir à la réalité. Et de s’interroger sur notre rapport au vivant

VR : réalité virtuelle.

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Nymphe. Clara Luciani à ses débuts avec le groupe La Femme, dans les années 2010.
 ??  ?? Immersion. Une balade contemplat­ive dans l’oasis sauvage, onirique et « origamique » de « Paper Beast » signée Éric Chahi.
Immersion. Une balade contemplat­ive dans l’oasis sauvage, onirique et « origamique » de « Paper Beast » signée Éric Chahi.

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