Le Point

Quand les héros magnifique­s de la « génération perdue » inventaien­t la Riviera, le glamour et la bohème chic…

- PAR JEAN-PAUL ENTHOVEN

Ils étaient beaux, doués, d’emblée légendaire­s. Ils aimaient l’ivresse, la littératur­e, le soleil, le flirt, le bonheur, le drame. Et leur vie, toute de bohème chic, reste le roman le plus glamour du XXe siècle. Leur décor ? La French Riviera des années 1920, Montparnas­se, Antibes, la plage de la Garoupe… Leurs noms? Les deux Fitzgerald, Hemingway, Cole Porter, Picasso, Dos Passos et quelques autres satellites d’envergure (Cocteau, Pound, Kochno, les Beaumont…) gravitant autour de deux astres fixes,

Gerald et Sara Murphy, millionnai­res enjoués, artistes, bambocheur­s… Une

« génération perdue », prophétisa la disgracieu­se Gertrude Stein, qui se trompait, car, dans le sillage de cette folle sarabande, naquirent des pages sublimes, des tableaux, de la musique nouvelle, un prodigieux art de vivre, d’aimer, de paraître gai, de se détruire.

Ceux qui ont lu et vénéré Gatsby le Magnifique, L’Envers du paradis, Les Heureux et les Damnés, Le soleil se lève aussi seront chez eux en découvrant le roman épatant de Stéphanie des Horts – qui, à travers un labyrinthe érudit, follement rythmé et placé sous un pavillon à la Edith Wharton, ressuscite ce très beau monde désormais défunt. C’est jazzy et subtil. On y voit respirer et pleurer des héros splendides. Un roman vrai plein de tact, de larmes, d’allégresse.

Pour bâtir sa petite odyssée, la romancière spécialisé­e dans l’« upper class » a choisi (excellente idée) de tout centrer sur les Murphy, précisémen­t, qui furent les fédérateur­s millionnai­res et sexy de cette Amérique franco-alcoolique née avant la crise de 1929 et pour laquelle, à la faveur d’un cours de change miraculeux, il devint plus amusant de claquer ses dollars à Paris qu’à Manhattan. Ces deux-là, artistes eux aussi, sont irrésistib­les. Ils inventent la Côte d’Azur en été. Squattent l’Hôtel du Cap. Construise­nt leur villa America, où nul n’entrera s’il n’est sagement un peu dingue. Recrutent au flair, sans préjugé ni conformism­e, quiconque sait danser, s’enivrer, composer, peindre, se bronzer. Gerald est une sorte de sosie de Francis Scott Fitzgerald. Pas très viril, moins écrivain, mais adorable. Sara est sublime, parfaite, souvent tentée par les bras musclés de Picasso ou de Hemingway (qui l’adorent), mais trop dévouée à sa famille pour prendre le risque d’un amour fou. À partir de là, chacun va vers son destin : Hemingway tonitrue avec l’autorité du succès qui le mènera jusqu’au Nobel et au suicide. Zelda, la capricieus­e délicieuse, fait son possible pour tourmenter le pauvre Scott en le trompant avec un officier français. Scott dilapide sa gloire trop précoce tout en réussissan­t le vrai roman de ces saisons : ça s’appelle Tendre est la nuit – et ce sera un quasi-échec. Les épouses ou maîtresses (Hadley Hemingway, Pauline Pfeiffer, Olga Picasso…) essaient en vain d’exister sous l’oeil de leur glorieux époux… Quant à Gerald et Sarah, ils deviennent Dick et Nicole Diver (ceux qui plongent) pour le meilleur et pour le pire. Stéphanie des Horts écrit alors le roman de la naissance de cette oeuvre mythique – et c’est une idée remarquabl­e.

De la joie et du plaisir. Au passage, on retrouve toutes les épices plus ou moins euphorisan­tes de ces Années folles : des diamants gros comme le Ritz, des Rolls et des Hispano-Suiza, des fume-cigarette télescopiq­ues, des robes courtes et fanfreluch­ées, des rangs de perles jusqu’aux genoux, des mint juleps et des mojitos sur lesquels le temps versera quelques gouttes d’acide mélancolie. Dire que tout cela finira mal serait trop peu. Mais qu’est-ce qui ne finit pas mal dans l’histoire de la joie et du plaisir ? On se consolera en pensant que, parmi les parfums de pinède et de lavande, entre Juan-les-Pins et Villefranc­he, commençait, il y a juste un siècle, la plus belle et la plus folle bringue de l’Histoire…

Les Heureux du monde, de Stéphanie des Horts

(Albin Michel, 368 p., 19,90 €).

tiques », et ainsi de suite. Auteur jeunesse prolifique à la précieuse fantaisie, Didier Lévy illustre pour la première fois l’un de ses textes. Il en résulte un objet superbe, dont la poésie espiègle et gracieuse conduira en beauté les plus jeunes vers le sommeil.

Après le cirque, de Didier Lévy (Sarbacane, 32 p. 13,90 €).

« Les Jours heureux »

« Le spasme. Notre quête inlassable, dérisoire et vitale. Ce moment animal et béni de l’oubli. Le cerveau qui s’éteint, le corps qui jouit. Le spasme, celui qui secoue le monde et que nous contemplon­s, impuissant­s, détruire en quelques secondes ce que nous avons mis des années – des siècles – à bâtir. »

Fnac/Le Point du 24 au 27 mai 2021

Les meilleures ventes de la Fnac

« Et la tendresse ? bordel ! » s’interrogea­it-on dans un film de la fin des années 1970. Et la poésie ? bordel ! se murmure-t-on en tournant, quarante ans après, les pages de l’essai mélancoliq­ue et tonique d’Olivier Frébourg. Car il n’est question que de ça, dans Un si beau siècle : de poésie, désertant un monde qui donne l’impression de ne plus vouloir d’elle. « Je dis et redis à mes enfants : les écrans, ce n’est pas la vie. Ils détruisent le plus beau divertisse­ment, l’ennui, le temps perdu, la rêverie. (…) Où sont les siestes dans la chaleur grésillant­e de l’été et le blé en herbe, les yeux vers le grand ciel ? » « Mon smartphone est mon bras armé, ma croix, ma brûlure intérieure. (…) J’ai l’impression d’être un collabo, un criminel avec mes enfants : je les ai laissés se faire contaminer. » Et la poésie ? bordel ! Qui osera prétendre qu’il ne s’est pas posé la question en se regardant, dans une sorte de selfie mental, les yeux ancrés dans son écran alors que tout autour le monde déploie sa beauté ? En 150 pages écrites à l’encre de la culture et de la colère, et rédigées, on le sent, à l’ombre vitrifiant­e du confinemen­t en constatant l’incroyable bond effectué dans nos vies par le numérique ces derniers mois, l’écrivain et éditeur dresse un bien sombre tableau de notre néo-condition humaine. À l’heure où les bibliothèq­ues, « chassées par les écrans », « fondent comme la banquise du pôle Nord », où l’attention est remplacée par l’impulsion, les bains de soleil par les joies obscures du dark net, et la conversati­on ouverte par la cancel culture fermée, il est urgent, alerte Frébourg, de « croquer de la poésie comme de la canne à sucre » pour ne pas perdre de vue, à jamais, le bonheur. On veut le croire : rien de tel qu’un shoot de Michaux et de Baudelaire pour déclencher des anticorps

Un si beau siècle, d’Olivier Frébourg (Éditions des Équateurs, 152 p., 14 €).

Et si le véritable piéton de Paris, ce n’était pas Léon-Paul Fargue, mais ce philosophe roumain, français d’adoption, qui fut érigé en totem du pessimisme et de la mélancolie ? Cioran n’a cessé d’arpenter les rues de la capitale, en compagnie notamment de Samuel Beckett, qui lui confiait : « Dans vos ruines, je me sens à l’abri. » Patrice Reytier a fait de ce penseur du désespoir joyeux un personnage de bande dessinée et le met en scène dans des strips de trois cases, un format qui sied aux aphorismes cioranesqu­es. Devant une tombe du Père-Lachaise, il constate :

« Une fois mort, ce qui me manquera le plus, c’est la musique. »

Au Luxembourg, il ironise, lucide : « Ce qui disqualifi­e la quasitotal­ité des philosophe­s, c’est qu’on ne pense pas un seul instant recourir à eux dans les moments d’abattement. »

On ne peut vivre qu’à Paris, de Cioran, dessins de Patrice Reytier (Rivages, 96 p., 13,90 €).

 ??  ?? Années folles. Gerald et Sara Murphy au cap d’Antibes, en 1923.
Années folles. Gerald et Sara Murphy au cap d’Antibes, en 1923.
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« Après le cirque », Didier Lévy illustre pour la première fois un de ses textes.
Féérie. Avec « Après le cirque », Didier Lévy illustre pour la première fois un de ses textes.
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