Haro sur le tourisme de masse !
Alors que les Français déconfinés plébiscitent les voyages, certains politiques dénigrent la manne que représente le tourisme hexagonal. Avec mauvaise foi ?
«Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre », écrivait Pascal. À en croire les enquêtes d’opinion qui placent le voyage au tout premier rang de leurs projets de dépenses, les Français n’ont apparemment pas retenu la belle et profonde leçon de sagesse du philosophe.
De tous les bouleversements induits par la mondialisation, le développement du tourisme a été l’un des plus spectaculaires. L’un des plus visibles aussi, que ce soit à Venise, à Phuket, dans les rues de Paris ou dans les jardins des châteaux de la Loire. Selon les données de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), le nombre de touristes internationaux est passé de 25 millions en 1950 à 277 millions en 1980, 684 millions en 2000 et 920 millions en 2010. Il avait atteint un record de 1,5 milliard en 2019, avant de s’effondrer en 2020 en raison de la pandémie et de la fermeture des frontières, pour tomber à moins de 500 millions, son niveau d’il y a trente ans. L’OMT ne se montre guère optimiste pour 2021 et prévoit qu’au mieux le nombre des voyages touristiques à l’étranger restera encore inférieur de plus de moitié (55 %) à celui de 2019. Il faudrait attendre 2023 et plus probablement 2024 pour qu’il retrouve son niveau pré-Covid.
Même lointaine, la perspective de ce retour à la normale provoque d’ores et déjà la colère de Ségolène Royal. Après la décision prise fin mai par l’Espagne d’ouvrir cet été ses frontières aux personnes vaccinées, elle a écrit ce tweet rageur : « Retour au tourisme de masse sans aucune réflexion collective : un non-sens sanitaire et climatique. Revenir au trafic aérien d’avant la crise : une aberration. Courir après le profit aveuglément dans le secteur touristique, sans réfléchir à un autre modèle, produira le pire. »
La critique du tourisme de masse et démocratisé émanait traditionnellement d’une droite élitiste, ultraréactionnaire et extraordinairement snob. C’est celle, par exemple, au moins talentueuse, d’un Paul Morand, déplorant dans Bains de mer que ses « paradis d’autrefois » où il avait l’habitude de séjourner tranquillement avec une poignée d’amis richissimes soient devenus des « enfers balnéaires » avec leurs plages transformées « en fourmilières humaines ».
Il est en revanche très nouveau, un peu dérangeant aussi, d’entendre une aussi éminente personnalité de gauche que Ségolène Royal dénoncer, même au nom de la sacro-sainte défense de l’environnement, le tourisme de masse, qui est d’abord un tourisme populaire. Lequel est né en France grâce à la conquête sociale des congés payés et qui se développe à l’échelle mondiale depuis trente ans grâce à l’apparition de classes moyennes dans les pays émergents. On croit par ailleurs se souvenir qu’il n’y a pas si longtemps Mme Royal n’hésitait pas à prendre l’avion pour passer des vacances en famille à l’île Maurice (20 000 kilomètres aller-retour). Et qu’elle voyait aussi dans « les 4 millions de touristes » se rendant chaque année à Cuba la preuve que ce pays n’était pas une dictature.
Autre grande figure de la gauche socialiste repeinte en vert, la maire de Paris, Anne Hidalgo, se garde bien quant à elle d’évoquer publiquement les méfaits environnementaux du tourisme de masse. Et pour cause. Vingt-deux millions de séjours de visiteurs étrangers avaient été recensés en 2019 dans la capitale et sa région, y générant 14,5 milliards d’euros
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Selon l’OMT, le nombre de touristes internationaux est passé de 1,5 milliard en 2019 à moins de 500 millions en 2020.
de recettes. Et même si les Français se sont découvert pendant qu’ils étaient fermés une véritable passion pour les musées, ce sont surtout les étrangers qui jusqu’alors les fréquentaient. Ils représentaient ainsi les trois quarts des 9,6 millions de visiteurs accueillis par le Louvre en 2019.
La place du tourisme dans le monde d’après est devenue en France un sujet politique presque aussi clivant que l’islamo-gauchisme ou le remboursement de la dette publique. Les uns prônent des mesures fortes et contraignantes pour limiter l’activité de cette « industrie » hautement polluante et qui symbolise à leurs yeux les ravages de la société de consommation capitaliste, fût-elle de loisirs. D’autres voient au contraire dans le tourisme une planche de salut économique pour notre pays, les Français se montrant visiblement plus doués pour aménager des gîtes ruraux que pour découvrir des vaccins