Fou, fou, fou, foot…
PQUI, MIEUX QUE GUEZ, SAURAIT EXPLIQUER, À TRAVERS LE COMPLEXE D’OEDIPE, L’INEFFICACITÉ DE MESSI QUAND IL JOUE POUR SON ÉQUIPE NATIONALE ?
ersonne, au fond, ne saurait dire pourquoi le spectacle quasi enfantin offert par 22 garçons courant après une boule de cuir rassemble planétairement, une ou deux fois par semaine, beaucoup plus d’individus que toutes les religions du monde. De ce mystère – où la théologie, la métaphysique, le freudisme, l’argent, la lutte des classes et même le sport ont leur part – Olivier Guez est, aujourd’hui, l’herméneute le plus pertinent, le plus stylé, le plus délicieusement cinglé. Qui, en effet, peut comme lui citer Goethe pour évoquer la couleur bleue du onze uruguayen ? Qui, mieux que lui, saurait éclairer la généalogie du dribble par l’histoire de l’esclavage qui condamnait les natifs du Brésil à ne jamais entrer en contact avec le corps de leurs maîtres ? Et qui, sinon lui, oserait comparer le jeune Griezmann à Gilgamesh ou expliquer, à travers le complexe d’OEdipe, l’inefficacité de Messi quand il joue pour son équipe nationale ? Il est vrai que, pour ce romancier (Prix Renaudot 2017 pour La Disparition de Josef Mengele), l’aile de pigeon, le placement de jambes, le petit pont et autres « coups du foulard » sont des concepts, voire des preuves de l’existence terrestre de la grâce. Avec lui, à travers sa prose, Garrincha, Yachine, les deux Ronaldo ou Zidane ont rencontré leur chantre, leur barde, leur Bossuet, leur griot majeur. Ils peuvent lui demander n’importe quoi, du score Hongrie-Salvador de 1982 à celui de Algérie-Slovénie de 2010. Guez, il est vrai, sait tout. Ainsi que toutes les anecdotes footballistiques qui, depuis un siècle, font les délices des aficionados de San Siro, du Parc des Princes ou du Camp Nou. Évidemment, cet encyclopédiste a eu, comme Claudel, son « deuxième pilier », lorsqu’il a rencontré Dieu. Ça se passait le 22 juin 1986, dans le stade Azteca de Mexico. Ce jour-là, Maradona a volé, comme un « cerf-volant cosmique », à travers 10 joueurs anglais, encore ivres de leur victoire aux Malouines, pour marquer le plus beau but du monde. Pour comprendre une parcelle de cette mystique, de cette « passion absurde et dévorante », disons simplement que, pour Guez – et pas seulement pour lui –, cet homme-là, ce « Pibe de Oro », ce jour-là, c’était le Christ marchant sur le lac de Tibériade. Folie ? Opium du peuple ? Certes, certes, mais enfin…
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Une passion absurde et dévorante, d’Olivier Guez (190 p., 19 €, Éditions de l’Observatoire).