Quand la photo nous révèle
Au cours des recherches qu’il mena sur sa famille pour son grand livre Les Disparus (Flammarion, 2007), Daniel Mendelsohn s’était rendu à Haïfa, en Israël. Là vivait une tante possédant un album de photos qu’il savait décisif, mais qui fut d’un silence désespérant, ni nom ni légende n’accompagnant ces portraits de parents partis en fumée par dizaines dans la fournaise nazie.
C’est depuis cette déception fondatrice qu’il relit aujourd’hui les puissants et émouvants portraits de famille pris par Isabelle Boccon-Gibod – 32 cellules qui ne sont pas non plus légendées, mais dont Mendelsohn connaît certaines, qu’il nomme et devraient donc échapper à l’oubli. Des portraits en noir et blanc, sobres et profonds, où l’inquiétude d’être percé à jour le dispute à l’envie de sourire, qui nous laissent tout loisir d’imaginer les histoires qui présidèrent à ces unions et leur vie quotidienne.
On sait quel prix on peut accorder à des clichés qui fixèrent notre image à des instants décisifs : quand elle ne nous trahit pas, la photo nous révèle et nous sauve à la fois. Daniel Mendelsohn est bien placé pour connaître ce prix, lui qui a connu l’arrière-grand-mère d’une des modèles d’Isabelle Boccon-Gibod, une Mme Begley, qui, au sortir de la guerre, reçut une lettre du Polonais occupant la maison qu’elle avait dû fuir lors de l’avancée des nazis : il avait récupéré ses photos de famille et voulait savoir combien elle serait prête à donner pour reprendre possession de certaines.
Le racket avait duré des mois, avant que le mari de Mme Begley y mette le holà. Du moins eut-elle la consolation de réunir en images les siens et de pouvoir léguer cette cellule retrouvée à ses enfants. Pouvoir résurrecteur d’un diaphragme, quand il a le don de saisir l’âme de ses modèles ■
Structure, d’Isabelle Boccon-Gibod. Textes de Daniel Mendelsohn (Hemeria, 88 p., 59 €).