Le Point

Jean-Marc Daniel : « La solution, c’est de baisser la dépense »

L’économiste peste contre les effets délétères de la dette publique et de la création monétaire dans « Il était une fois… l’argent magique » (Le Cherche-Midi). Il souffle même un terme devenu tabou : privatiser.

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Jean-Marc Daniel connaît son sujet par coeur. Cet économiste de la tendance classique a écrit son dernier livre, Il était une fois… l’argent magique, en trois semaines. Un ouvrage érudit, bourré de citations d’économiste­s célèbres. Jean-Marc Daniel réalise le tour de force de signer à la fois une initiation sérieuse à l’économie monétaire et un pamphlet contre le courant économique en vogue, qui prétend sauver les économies du désastre par la création monétaire et l’accumulati­on de dette publique autorisée par les banques centrales.

Le Point: En 2018, Emmanuel Macron expliquait à une aide-soignante qu’il n’y avait pas «d’argent magique». Aujourd’hui, cet argent magique a été trouvé. Nous sommes revenus au temps des alchimiste­s, ditesvous…

Jean-Marc Daniel:

Les alchimiste­s pensaient qu’on pouvait créer de l’or – et donc de la monnaie – sans limite. De nos jours, on est revenu à l’idée qu’il n’y a plus de contrainte monétaire, notamment parce que la convertibi­lité du dollar en or a été abandonnée en 1971. S’il n’y a effectivem­ent plus de contrainte formelle, la création « d’argent magique » est à l’origine de multiples dégâts.

Lesquels? Vous dites vous-même que l’argument selon lequel l’accumulati­on de dette publique serait un poids sur les génération­s futures est faux…

Il faut d’abord préciser que, depuis le début du XIXe siècle, les États ne remboursen­t pas leur dette. Ils se contentent de payer les intérêts parce qu’ils la renouvelle­nt en permanence. Ces intérêts ponctionné­s sur les impôts des génération­s à venir vont dans la poche de gens qui appartienn­ent aussi à la génération future. La dette est donc un transfert d’argent au sein de cette dernière, des contribuab­les vers les rentiers. De surcroît, dans le cas de la France, ces rentiers sont souvent des étrangers, car la dette publique est en partie détenue par des fonds d’investisse­ment d’autres pays, comme les fonds de pension américains.

Quelles sont les autres raisons qui vous portent à critiquer l’accumulati­on de dette publique par création monétaire?

Quand vous substituez de la dépense publique au travail, comme c’est le cas actuelleme­nt pour faire face à la crise du Covid-19, cela crée une distorsion entre les moyens financiers dont dispose la population et la production du pays. Normalemen­t, cet écart entre la demande et l’offre provoque de l’inflation.

Mais l’inflation a disparu !

Le surcroît de demande par rapport à l’offre productive d’un pays se déverse, en fait, dans les importatio­ns. L’inflation qui aurait dû apparaître se transforme en déficit extérieur. Cela crée ce qu’on appelle des déficits jumeaux : le déficit public se cumule avec le déficit extérieur. La dette publique, qui représente le stock cumulé de déficit, se mue en dette extérieure, comme c’est le cas en France. Et c’est là que la situation devient très dangereuse ! La génération future va avoir à payer, en plus de la retraite de la génération actuelle, celle des Japonais et des Californie­ns…

Quelles sont vos autres craintes concernant la dette publique?

L’augmentati­on de la dette publique déclenche une angoisse chez les citoyens. C’est ce que les économiste­s appellent l’« équivalenc­e ricardienn­e ». Les gens se mettent à épargner en prévision de hausses d’impôts, et cette épargne se porte essentiell­ement vers des actifs considérés comme sûrs, tels l’or ou l’immobilier. L’économiste américain Robert Barro a ainsi écrit un article célèbre pour dire que l’évolution de la dette publique américaine expliquait la montée des prix de l’immobilier à Manhattan.

Cet argument de l’équivalenc­e ricardienn­e est très contesté…

Au niveau mondial, l’épargne est toujours égale à l’investisse­ment auquel s’ajoute le déficit budgétaire. C’est une

« La génération future va avoir à payer, en plus de la retraite de la génération actuelle, celle des Japonais et des Californie­ns… »

vérité comptable incontesté­e : un déficit budgétaire fait apparaître de l’épargne quelque part dans le monde. Les keynésiens estiment que le creusement initial du déficit public génère de la croissance, ce qui engendre des recettes fiscales et fait disparaîtr­e le déficit initial. Je constate que le déficit initial se maintient. Dans le cas des États-Unis, on observe un creusement colossal du déficit extérieur. Avec les plans successifs Trump et Biden, il est passé d’environ 480 milliards à, probableme­nt, 800 milliards cette année, tandis que les prix de l’immobilier n’arrêtent pas de monter !

Quel est le problème pour les États-Unis si cela produit de la croissance?

Les États-Unis ont la chance de manier l’argent magique par excellence, parce qu’ils battent la monnaie mondiale. C’est le privilège exorbitant du dollar. Dans le monde, il existe trois types de pays d’un point de vue monétaire. Les ÉtatsUnis, qui financent leur déficit extérieur en dollars. Leur seul problème, c’est qu’ils sont en train de devenir la propriété du reste du monde. Comme l’avenue Montaigne est aux mains des étrangers, Park Avenue est en train de devenir la possession des Chinois. Ensuite, il y a des pays qui sont obligés de trouver des dollars lorsqu’ils sont en déficit extérieur. Il faut qu’on leur en prête. Mais certains d’entre eux se retrouvent tout bonnement dans une situation où l’on ne veut plus leur en prêter. À partir de ce moment-là, les gens cherchent à se réfugier vers une monnaie sûre, et la monnaie nationale disparaît. C’est ce qui se passe au Liban ou en Zambie.

« Sans l’Allemagne ou les Pays-Bas, la France serait depuis longtemps dans les mains du Fonds monétaire internatio­nal. »

La France n’est-elle pas protégée, puisqu’elle appartient à la zone euro, qui dégage un gros excédent extérieur?

Effectivem­ent, la France est totalement protégée par les pays en excédent comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. Elle se permet même de leur faire la leçon puisque le président Macron leur a expliqué qu’il fallait se débarrasse­r du fétichisme des excédents budgétaire­s et commerciau­x. Mais s’il n’y avait pas ces pays, la France serait depuis longtemps dans les mains du Fonds monétaire internatio­nal.

Pourquoi êtes-vous contre l’annulation de la partie qui a été achetée par la Banque centrale européenne (BCE)?

Cela provoquera­it de l’émoi dans la population. Elle va penser que si l’on annule cette dette, cela veut dire que cela recommence­ra à l’avenir, et sur le reste de la dette. C’est donc une mesure dangereuse et inutile d’autant que cette partie de la dette ne coûte rien à l’État puisque la banque centrale, dont il est actionnair­e, lui reverse les intérêts perçus sous forme de dividendes.

Pourquoi ne pas accepter un peu d’inflation, ce qui allégerait le fardeau de la dette?

Cela semble assez séduisant, mais ce n’est pas une solution. D’abord parce que ça fait longtemps que les banques centrales essaient de faire remonter l’inflation, mais n’y arrivent pas, car l’écart entre la demande et l’offre provoque une augmentati­on des importatio­ns et un creusement du déficit commercial. Puis parce que se débarrasse­r de l’inflation, une fois qu’elle est revenue, nécessite une politique monétaire restrictiv­e, ce qui provoque du chômage, ou le creusement d’une nouvelle dette.

Alors il reste une solution… C’est d’augmenter les impôts.

Non, la solution consiste à dégager des excédents budgétaire­s. Pour y parvenir, il y a deux options : augmenter les impôts ou baisser les dépenses publiques. Je prends quelques exemples, dont ceux du Canada et de la Suède, qui étaient dans un état catastroph­ique dans les années 1990. Ils ont connu une explosion de leur dette publique. Ils s’en sont très bien sortis en serrant la dépense publique.

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