Le jean se convertit au durable
Longtemps cloué au pilori environnemental, le jean se convertit au durable.
C’est l’un des vêtements les plus consommés au monde. Par les adolescents comme les seniors, les classes populaires comme les CSP ++, les Américains comme les Japonais. Après avoir été l’uniforme de travail des mineurs aux États-Unis, le jean est devenu cet habit universel qui s’écoule chaque année à 2,3 milliards d’exemplaires dans le monde, soit 73 pièces par seconde. Est-ce parce qu’il est si populaire que les écologistes en ont fait l’un de leurs chevaux de bataille ? Peut-être, mais sûrement aussi parce que sa confection se révèle complexe et que chaque étape s’avère énergivore. La production d’un jean consommerait entre 7 000 et 10 000 litres d’eau selon l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Pour se faire une idée plus précise, c’est l’équivalent de 285 douches. Sans compter l’usage des produits chimiques (pétrole, cyanure, benzène…) ou les allers-retours entre les différentes étapes de confection (jusqu’à 65 000 kilomètres selon l’Ademe)… Un défi environnemental de taille, donc, mais qui en est encore aux balbutiements. Ainsi, en 2020, moins de 5 % des jeans produits dans le monde auraient été conçus de façon écoresponsable. « L’eau est l’un des enjeux majeurs, nécessaire pour la culture du coton, qui en utilise beaucoup pour l’irrigation, mais aussi pour ledélavage,obtenuavecdesproduitschimiques qui finissent parfois sans traitement adéquat dans les rivières, faute de réglementation
Aujourd’hui, les marques se mobilisent autour du produit.
dans certains pays, observe Damien Pellé, directeur du développement durable des Galeries Lafayette. Ces trois dernières années, les marques spécialisées ont commencé à bouger. Avant, elles s’engageaient sur une politique environnementale; aujourd’hui, elles se mobilisent autour du produit. Quand nous avons lancé, en 2018, Go for Good, qui labellise les vêtements plus responsables, nous n’avions que quelques marques de jeans, aujourd’hui, on en compte une quinzaine. »
Denim vertueux. Si l’alimentation s’est mise plus tôt au bio, la mode, pointée du doigt comme l’une des industries les plus polluantes, essaie désormais d’avancer sur le sujet. C’est le cas des « jeaners » historiques comme des plus jeunes, à l’image de MUD Jeans en Suède, mais aussi des marques de mode généralistes comme & Other Stories, Roseanna, Maje, ou encore Guess, qui a lancé en 2015 Smart Guess, une ligne écoresponsable avec un focus particulier sur le denim. « C’est à travers mes enfants, très renseignés sur les questions environnementales, que j’ai compris la préoccupation grandissante de la jeune génération pour l’écologie, affirme Paul Marciano, cofondateur et directeur créatif de Guess. Cette saison, nos collections comprennent 25 % de denim responsable avec pour objectif, d’ici à 2030, de passer à 100 %. Nous privilégions les matériaux durables comme le coton bio, le chanvre, les chutes, les textiles recyclés et même d’anciens jeans. Côté fabrication, les techniques comme les traitements au laser et les délavages à l’ozone permettent d’économiser l’eau et de réduire l’utilisation de produits chimiques. » Pour guider les acteurs de l’industrie, la Fondation Ellen MacArthur a mis au point un cahier des charges pour produire plus proprement du denim en se basant sur l’économie circulaire. Baptisé « The Jeans Redesign », il vient de donner lieu à une collection conçue en partenariat avec Tommy Hilfiger.
Pour comprendre les enjeux environnementaux, il faut décrypter la confection d’un jean. Si l’on schématise, il y a tout d’abord le tissu, en grande majorité du coton, qui commence, chez certains, à être recyclé ou bio. Interviennent ensuite la filature, la teinture avec de l’indigo, et enfin le tissage. Le tissu prêt, on passe à la coupe, la confection et, ultime étape, le délavage, très gourmand en eau mais aussi en produits chimiques. Ces différentes étapes, le Français Thomas Huriez les a décortiquées pour tenter de les rendre plus vertueuses. Créée en 2013, sa marque 1083 fait référence aux deux villes françaises les plus éloignées, soit Menton, sur la Côte d’Azur, et Porspoder, dans le Finistère. Une façon de signifier qu’en dehors du coton bio cultivé en Tanzanie, tout le reste est fait localement. C’est en France que la fibre est tissée, teinte, traitée, confectionnée et délavée au laser. « Le jean est l’un des produits ■■■
Nouvelles techniques pour économiser l’eau, matières durables, tissus innovants : les griffes historiques s’engagent aussi.
■■■ les plus polluants, les plus mondialisés et les plus concurrentiels. La différence entre un modèle de marque à 100 euros et le même vendu 30 euros par la fast fashion ? Il est souvent fabriqué dans le même pays et dans la même matière première, l’écart de prix s’explique par l’image de marque, le marketing et le réseau de distribution, affirme Thomas Huriez. Chaque année, les Français achètent en moyenne 1,5 jean, soit 88 millions de pièces par an. Notre mission : donner envie d’acheter moins de jeans en apportant de la valeur à nos produits. Cela passe notamment par une confection française mais avant tout par l’esthétique. Personne n’est contre le bio ou pour le travail des enfants, mais tout le monde veut se sentir bien dans ses vêtements, donc la partie créative est primordiale. » 1083 propose plus d’une vingtaine de modèles, dont l’Infini, un jean 100 % polyester recyclé jusqu’au fil à coudre et aux boutons, donc consigné et recyclable à l’infini.
Si des jeunes structures ont fait du durable leur créneau, les marques historiques se penchent aussi sérieusement sur la question. Levi’s a mis au point en 2011 « Water Less », une vingtaine de techniques pour économiser l’eau dans le processus de confection, accessibles à tous car non protégées par le secret industriel. Le jeaner légendaire travaille également sur des alternatives au coton, l’une des grandes problématiques du denim, et plus globalement de l’industrie de la mode. Parmi ces propositions, le chanvre cotonisé ainsi que le Lyocell (ou Tencel). « Nous nous penchons sur ces matières durables car elles utilisent moins d’eau, moins de produits chimiques et sont plus respectueuses de l’environnement. Dans la même veine, nous voulons concevoir des pièces qui durent plus longtemps, grâce notamment à nos “Tailor Shops”, des ateliers qui permettent de prolonger la durée de vie des vêtements », explique Mathilde Vaucheret, directrice marketing Europe du Sud de Levi’s.
De son côté, Lee s’est attaqué à la question avec notamment une teinture plus responsable baptisée Indigood. Une technique à base de mousse qui nécessite moins d’énergie et de produits chimiques mais, surtout, pas d’eau. « Nous avons établi un certain nombre d’objectifs pour 2025, dont le recours unique aux énergies renouvelables pour nos installations, l’utilisation de 50 % de matières synthétiques durables dans les vêtements et le choix d’un coton recyclé ou cultivé de façon responsable », explique Johan de Niel, vice-président de la marque en Europe, Moyen-Orient et Afrique. En témoigne le lancement de la ligne « Workwear » avec un tissu entièrement recyclé, dont 20% de chutes de denim. Supervisée par Roian Atwood, le référent green de Lee, une série de podcasts, « The Indigood », a même été lancée pour réfléchir aux enjeux environnementaux de cette industrie.
Quid de l’upcycling, ce procédé de réutilisation des vêtements existants? Assez complexe avec le denim, car il est souvent mélangé avec de l’élasthanne, comprend des rivets en métal, des éléments en cuir, des poches… Et Thomas Huriez de remarquer : «Il faudrait y travailler car on dit souvent qu’il n’y a pas de coton en France, mais c’est faux, on en a des tonnes dans nos placards ! » ■