Le Point

Nouvelles (Maylis de Kerangal) : Buffalo Bill et Ford Mustang

Maylis de Kerangal nous répare encore. En Amérique.

- PAR CLAUDE ARNAUD

Depuis Corniche Kennedy, l’opus qui la fit connaître en 2008, Maylis de Kerangal croque à pleines dents ses fictions. Qu’il s’agisse d’ériger un édifice public en Californie (Naissance d’un pont) ou de transplant­er un coeur à la Salpêtrièr­e (Réparer les vivants), elle montre un don égal à rendre l’existence plus intense qu’elle ne l’est en réalité. Elle dit notre aptitude à affronter le pire comme à jouir du meilleur, à nous réinventer dans l’adversité aussi.

La narratrice de la plus aboutie des huit nouvelles réunies dans Canoës confirme ces facultés d’adaptation, elle qui s’installe au coeur des États-Unis avec son mari pour élever leur fils, Kid. Golden, dans le Colorado, n’est pas New York ou Frisco, mais tout l’émerveille dans ce trou qui connut la ruée vers l’or minier après l’éliminatio­n des Indiens des Grandes Plaines. Explorant Golden comme d’autres le Kamtchatka tout en suivant des cours de poterie avec d’autres « housewives », elle rallie le musée de Denver en bus et à pied, mais affronte de telles épreuves qu’elle se décide enfin à apprendre à conduire – impossible de survivre dans l’« inland » américain sans voiture – et s’entraîne au passage à sentir l’acier du colt de sa monitrice contre sa cuisse. Elle s’américanis­e au volant de sa Ford Mustang, jusqu’à se fondre dans le paysage.

Sa joie à mimer les rites que le cinéma lui a déjà rendus familiers se double d’une euphorie communicat­ive à explorer les maigres richesses locales, du «general store» de Golden, lequel sert aussi de musée minéralogi­que (obsidienne, amazonite…), à la tombe du légendaire Buffalo Bill, qui domine la ville. Ce qu’il y a de plus prosaïque dans la vie aux ÉtatsUnis, comme ce qu’il pourrait y avoir d’un peu dérisoire dans sa mythologie, se voit transcendé par un verbe qui enchante – on n’avait pas lu prose aussi gourmande depuis Colette.

Même l’accident qui voit sa Mustang emboutir une Buick caramel ne pourra ternir cette initiation amoureuse. L’enfer en littératur­e est pavé de bonnes intentions, disait Gide. Kerangal prouve qu’elles peuvent aussi s’entourer de grâce par la magie d’un style ■

Canoës, de Maylis de Kerangal (Gallimard, collection « Verticales », 176 p. 16,50 €).

 ??  ?? Sur la route. Maylis de Kerangal (« Corniche Kennedy », « Réparer les vivants ») est de retour avec « Canoës », un recueil de huit nouvelles publiées chez Gallimard.
Sur la route. Maylis de Kerangal (« Corniche Kennedy », « Réparer les vivants ») est de retour avec « Canoës », un recueil de huit nouvelles publiées chez Gallimard.

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