Le Point

Roman : William Boyd, retour aux sixties

- SOPHIE PUJAS

Brighton, été 1968. Pour son nouveau roman, Trio, William Boyd nous transporte dans la station balnéaire anglaise le temps du tournage d’un film. Sur le plateau, les catastroph­es se multiplien­t : la vedette refuse de tourner avec ceux qui doivent jouer ses parents, l’un des acteurs tient à ajouter une phrase qui n’est pas dans le script, des rouleaux de pellicule disparaiss­ent… Dans les coulisses, c’est pire. L’écrivain britanniqu­e suit en parallèle les destins de trois êtres dans la tourmente : la jeune star du film, la femme du cinéaste, et le producteur. Anny Viklund, l’actrice, se shoote aux tranquilli­sants, tandis que resurgit son mari, un activiste poursuivi par le FBI. Elfrida Wing, la femme du metteur en scène, est une romancière qui n’a pas écrit une ligne depuis dix ans et sombre dans l’alcool. Et Talbot Kydd, le producteur, marié et père de famille qui cache son homosexual­ité, est dévoré par les regrets et les désirs. Chacun à sa façon triche avec sa vérité et en paie le prix fort. L’auteur des Nouvelles Confession­s et de Un Anglais sous les tropiques est l’homme du romanesque échevelé. Mais aussi celui des personnage­s en fuite et des doubles vies – n’at-il pas fait revivre James Bond le temps d’un roman, Solo ? Deux dimensions dont il joue ici avec bonheur.

Le romancier, qui redonne vie aux clubs de Londres ou au Paris déserté de l’été 1968, y déclare son amour au cinéma, cette machine à produire du rêve même sur un lit de désastre. Le charme des Swinging Sixties opère – comme toujours chez Boyd, la reconstitu­tion est minutieuse, sans jamais peser. Observateu­r plein de verve de la comédie humaine, il croque les ridicules ou les trahisons ordinaires. Le voyage dans le temps n’est pas sans cruauté. Car derrière le glamour et l’humour surgissent les déchirures intimes. Ce n’est pas un hasard si Anny, cousine de fiction de Jean Seberg, cache sous un sourire irrésistib­le un égarement dévorant. Pour chacun, la tragédie menace – et le pire ennemi est intérieur. Trois personnage­s en quête de salut, pour ce trio mené avec brio

Trio, de William Boyd, traduit par Isabelle Perrin (Seuil, 420 p., 22 euros).

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Amours en fuite. L’écrivain britanniqu­e à son domicile de Chelsea, à Londres.

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