Petit manuel de survie des citadins à la campagne
L’exode urbain aura-t-il vraiment lieu ? Ce qu’il faut savoir avant de s’installer.
Pollution, canicules, terrorisme, promiscuité, épidémies, flambée des loyers, transports bondés… les sept plaies de la vie métropolitaine ont entamé le moral des citadins, éprouvés par les confinements à répétition. Près de la moitié des Franciliens se déclarent prêts à quitter Paris et sa région. Pour aller où ? Les petites et moyennes villes offrent une qualité de vie difficile à égaler : habitations et prix à la consommation abordables, proximité de la campagne, sociabilités plus simples, temps de transports réduits… Pour autant, ceux qui sont prêts à franchir le pas restent rares. D’après une étude Toluna pour Meilleurs Agents, seuls 10% des Parisiens qui envisagent de déménager choisiraient des villes moyennes ou des zones rurales pour s’installer…
Si le mouvement d’exode urbain apparaît modeste, de nombreux territoires ont compris qu’ils pourraient attirer des citadins en mal de verdure. L’Orne, l’Oise ou le Cher déploient des campagnes de publicité dans le métro depuis l’été dernier pour vanter la qualité de vie de leur département. Dans la Creuse, la ville de Guéret a mis en place une prime de 10 000 euros à tout nouveau propriétaire s’engageant à réhabiliter et habiter au moins cinq ans un bien immobilier du centre-ville, où
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30 % des logements sont ■ vides et vétustes. Dans la Nièvre, l’agglomération de Nevers propose un service d’aide à l’installation des arrivants, incluant l’accompagnement à la recherche d’emploi du conjoint et le remboursement de six mois de loyer pour les candidats à la mobilité ou les repreneurs d’activité. Tout est bon pour attirer des candidats à la recherche de grand air et de mètres carrés pas chers.
Il existe cependant des limites. Pour Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine à Paris-1 et auteur de L’Impasse de la métropolisation (Gallimard), la crise du gigantisme des villes ne saurait suffire à revitaliser les zones moins urbanisées : « L’attractivité de ces zones doit être renforcée, notamment sur les questions de santé et d’école », explique-t-il. Pour l’universitaire, il faudrait que l’État y réforme les services publics : « La crise des Gilets jaunes, c’était le réveil de la France où les médecins n’iraient pas se faire soigner et où les profs ne mettraient pas leurs enfants… »
Pour Olivier Razemon, auteur de Comment la France a tué ses villes et de « Les Parisiens », une obsession française (Rue de l’échiquier), il faut, avant de franchir le pas, bien cerner le mode et le cadre de vie que l’on entend adopter. La taille de la ville ne fait pas tout : « On ne vivra pas forcément de la même manière dans une petite ville rurale que dans une petite ville en périphérie d’une métropole », explique-t-il. La densité est aussi un paramètre à prendre en compte si l’on entend mener une vie de proximité. « En s’installant dans le centre d’une petite ville ou d’un gros bourg, on peut se déplacer à pied ou à vélo et limiter sa dépendance à la voiture », explique ce spécialiste des transports. Dans tous les cas, difficile de renoncer à la métropole sans se convertir à la voiture…
Pour réussir son installation dans un cadre rural, « l’envie de consommer des mètres carrés pas chers ne suffit pas », explique Cédric Szabo, directeur de l’Association des maires ruraux de France. « Il ne faut pas oublier qu’une vie locale préexiste dans ces communes. Il faut s’y impliquer et accepter l’idée que l’on puisse être soi-même considéré comme une ressource », explique cet excellent observateur du monde rural.
Sophie Coignard (éditorialiste au Point) est autrice avec Michel Floquet de Quitter la (grande) ville ! (Albin Michel), une chronique badine d’un coming out rural dans lequel elle raconte son installation dans le Perche, entre Parisiens de la bonne société et paysans pas toujours commodes. « L’arrogance est facultative », prévient-elle, donnant en exemple un voisin très à l’aise financièrement qui ne roule qu’« en vieille Twingo pour aller faire ses courses ». Un temps conseillère
Branchés
Dans les zones rurales et de montagne, seuls 30 % des locaux (logements ou locaux professionnels) bénéficient de la fibre optique. Une accélération générale du déploiement et un rattrapage dans les zones les moins densément peuplées semblent toutefois à l’oeuvre : en 2020, 5,8 millions de lignes ont été installées
(+ 20 % en un an), dont 5,3 millions dans les territoires les moins densément peuplés.
(Extrait du baromètre des résultats de l’action publique : la France de la fibre optique, Terra Nova.) municipale, elle a vu, en vingt ans de vie à la campagne, débarquer de nombreux néoruraux qui, comme elle, se sont peu à peu intégrés. Et n’en déplaise aux fables, «les choses se passent plutôt bien», explique-t-elle, attablée à la terrasse d’un café dans l’Orne. « Contrairement à ce que l’on peut lire dans la presse, personne ne porte plainte contre le coq du voisin, les cloches qui sonnent la nuit ou je ne sais quoi. Ça existe peut-être, mais c’est marginal. » Entre la campagne telle que la rêvent les citadins et la réalité, il existe parfois un gouffre. L’urbain en quête de nature et de silence finit souvent par s’accommoder du doux chant de la tronçonneuse le soir au fond des bois.
Télétravail. Les médias ont souvent mis en scène les combats d’élus locaux pour conserver un bureau de poste, mais peu ont évoqué les grands travaux d’installation massive de la fibre optique dans les campagnes. Une enquête réalisée par InfraNum, la Banque des territoires et l’Avicca montre que la France est le pays européen où le déploiement de la fibre optique progresse le plus vite. Du côté des entreprises, les confinements ont massivement favorisé le recours au télétravail, auquel les collaborateurs ont pris goût. Mais après l’euphorie des débuts, les employeurs semblent décidés à le réguler : « La plupart des DRH veillent au grain, car ils considèrent que l’entreprise ne peut pas être une organisation “à la carte”. Le risque, c’est de voir exploser les collectifs et se développer une forme de consumérisme salarial », explique Denis Maillard, fondateur du cabinet de conseil Temps commun. Pour le spécialiste des relations sociales en entreprise, il ne peut y avoir d’émancipation totale des collectifs : « Il ne faut pas oublier que l’on ne travaille jamais seul ! Renoncer à voir physiquement ses collègues comporte des risques : le travail peut devenir encore plus abstrait, et l’on peut se retrouver confronté à une perte totale de sens. » Au travail avec ses voisins, il ne faut jamais négliger la valeur de l’informel…
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« Il faut s’impliquer dans la vie locale et accepter l’idée que l’on puisse être soi-même considéré comme une ressource. » Cédric Szabo