Le Point

Juan Branco, un tiers maudit, deux tiers mondain

Proche de Catherine Deneuve et des Gilets jaunes, l’avocat reste mis en cause dans l’affaire Griveaux.

- PAR MARC LEPLONGEON ET AZIZ ZEMOURI, AVEC NICOLAS BASTUCK

L’histoire se passe en 2016 ou 2017, à une époque où Catherine Deneuve n’a pas encore vendu Primard, son château normand. Il y a là quelques intimes et proches de l’actrice, le champagne rosé coule à flots, tout comme la verve de ce jeune homme à l’air juvénile, coupe saut du lit, qui parvient à prendre un air pénétré lorsqu’il lance ses diatribes contre le pouvoir. Juan Branco n’est pas encore l’avocat des Gilets jaunes et l’opposant virulent à Emmanuel Macron qu’il est devenu, mais il se considère déjà comme un homme du peuple. En attendant, sourit un convive passableme­nt agacé, le voilà qui passe son week-end avec « les gens du monde »…

C’est là tout le paradoxe de Branco. Il appelle les foules à se soulever contre un pouvoir autocratiq­ue qui mépriserai­t les classes d’en bas ? On le renvoie à ses origines aisées. Fils d’un producteur influent et d’une mère psychanaly­ste, inscrit dans les grandes écoles, il n’est pas exactement un modèle d’ascenseur social. Il affirme détester les mondanités et s’être construit contre ces sphères qu’il ne veut pas fréquenter ? On retrouve une photo de lui, à Compiègne, en pleine séance d’équitation. Des détracteur­s qui cherchent à l’« embourgeoi­ser », s’agace-t-il. C’est un autre trait de caractère de Juan Branco : il a réponse à tout.

Il critique le capitalism­e, se voit comme le cauchemar des patrons du CAC 40, dénonce l’hyperconce­ntration des médias et des maisons d’édition aux mains d’une poignée de milliardai­res et la consanguin­ité d’un milieu politique qui ne s’ouvre qu’aux élites – lui a fait une brève carrière en tant que candidat des Insoumis aux élections législativ­es de 2017. Il s’étend cependant rarement sur ses liens avec Catherine Deneuve, qu’il a conviée au ciné-club de Sciences Po, rue Saint-Guillaume, et à sa soutenance de thèse à l’École normale supérieure (ENS) en 2014.

Dans une version jamais publiée de Crépuscule, son pamphlet écoulé à des dizaines de milliers d’exemplaire­s, et tombée entre les mains du Point, il raconte ce jour d’octobre 2017 où il accompagne l’actrice de Huit Femmes au Ritz pour un événement Louis Vuitton, dont la comédienne est l’égérie. Elle « est l’une des plus proches amies de la famille. La seule qu’enfant, sans que personne me le demande, je vouvoyais », écrit-il. Lui soutient n’être là qu’en tant que « présence amie » qui « protégera » Catherine « de la violence que provoque ce genre d’événements. Je la suis par curiosité. S’il y a quelque chose dont j’ai été tenu éloigné, c’est la mondanité et la vanité […]. L’accès à ce monde a encore un intérêt : non pas tenter de m’y faire voir et plaire, mais au contraire le décrypter. »

Ascension fulgurante. Phénomène médiatique sans médias à sa botte, Juan Branco est devenu un phénomène littéraire sans avoir eu, ou presque, la moindre chronique littéraire favorable dans la grande presse parisienne. Une ascension fulgurante d’autant plus remarquabl­e que le jeune homme n’a pas vraiment marqué ses professeur­s. «Un jour, alors que tout le monde avait posé sa dissertati­on sur mon bureau, lui ne le fait pas et ne consent à me donner son travail que trois semaines après les autres, se souvient un de ses enseignant­s à Sciences Po. En général, ils expliquent que le chat de l’arrière-grand-mère est mort. Lui ne fait même pas semblant d’inventer un mensonge que je ferais semblant de croire. La prose était ampoulée. Ça valait 7 ou 8/20 et je note plutôt large. Mais

Au procès Mila, il défend un prévenu soupçonné d’avoir cyberharce­lé la jeune femme.

je m’étais dit : “Je vais lui foutre 0 sur ■ sa copie, histoire que ça le marque un peu.” » La hiérarchie de l’école, à l’époque dirigée par Richard Descoings, s’en mêle. Juan Branco sera changé de conférence et « sa note ne le suivra pas », assure une camarade de classe. Branco se voit par la suite refuser une bourse doctorale à Paris-1 en raison de ses mauvaises notes, mais enchaîne les références prestigieu­ses sur un CV que d’aucuns jugent largement gonflé : ENS, Yale, Max Planck Institute, collaborat­ions à la Cour pénale internatio­nale (CPI) et dans des cabinets ministérie­ls, le barreau, enfin, via une passerelle, sans jamais passer de concours.

Poursuites disciplina­ires. Juan Branco se fait tout seul, sur les réseaux sociaux, dans des sorties pompeuses et narcissiqu­es mais efficaces et virales. Il diffuse de longs enregistre­ments filmés chez lui, souvent dans des ambiances tamisées, ou enregistré­s à l’iPhone, qu’il transmet ensuite à ses affidés sur sa boucle Telegram. On le dit avocat sans clients, il rétorque avoir défendu Julian Assange et Jean-Luc Mélenchon. « J’ai pris sous mon aile les principale­s figures d’opposition à ce gouverneme­nt, de Dettinger à Nicolle en passant par de nombreux Gilets jaunes », se vantera-t-il bientôt devant les enquêteurs qui l’entendent dans l’affaire Benjamin Griveaux, ce candidat LREM à la mairie de Paris contraint de se retirer de la vie politique après qu’un artiste russe, Piotr Pavlenski, a publié des vidéos intimes qu’il avait envoyées à une amante. C’était le 14 février 2020, jour de la Saint-Valences tin – fête capitalist­e par excellence. Branco avait exulté.

Car le jeune homme était dans la confidence et avait selon lui été consulté en tant qu’avocat avant la publicatio­n des vidéos. A-t-il joué un rôle plus important dans l’affaire qu’il ne veut l’admettre? A-t-il contribué à la diffusion massive de

images sexuelles portant atteinte à la vie privée ? Un faisceau d’indices existe, mais les enquêteurs ne sont pour le moment pas parvenus à le prouver. Juan Branco a été placé sous le statut de témoin assisté. L’histoire lui vaut cependant des poursuites disciplina­ires devant le conseil de l’ordre des avocats de Paris, qui lui reproche notamment un manque d’indépendan­ce vis-à-vis de son client, Piotr Pavlenski, ce trublion russe adepte des performanc­es artistique­s chocs, comme lorsqu’il s’était cloué les bourses sur la place Rouge pour manifester son opposition au Kremlin. Entendu en septembre 2020 par l’instance disciplina­ire de son barreau, Branco charrie, assume être un avocat militant et de « prendre le feu pour [ses] clients ». N’est-ce pas la marque des plus grands ?

La revanche ne tarde pas. Il affirme avoir porté plainte contre X le 3 octobre 2020 pour menaces, dénonçant, en pleine affaire Griveaux, la surveillan­ce policière déployée autour de son cabinet et de son domicile familial, des menaces de mort et la crevaison des pneus de son vélo. Il affirme aussi que le bâtonnier de Paris, lors d’un entretien en face à face, le 17 février 2020, deux jours après l’arrestatio­n de Piotr Pavlenski, lui aurait indiqué qu’il était « sur écoute », lui demandant « de passer à son bureau et non de l’appeler en cas de difficulté­s». «Aucune écoute n’a été versée au dossier [d’instructio­n, NDLR] à l’heure actuelle », ajoute cependant Me Branco, alors que le bâtonnier Cousi n’a pas souhaité nous répondre. Il insiste, enfin, sur une étrange visite que lui aurait rendue, le 16 mai 2020 à son domicile, Ludovic Chaker, conseiller du chef d’état-major du président de la République, connu pour avoir exfiltré la famille d’Alexandre Benalla en pleine tempête médiatique. Une manoeuvre que Branco assimile à de l’intimidati­on. Sollicités, Ludovic Chaker et son avocat n’ont pas donné suite.

Juan Branco a cependant compris qu’un lieu obligeait ses adversaire­s à lui donner la contradict­ion : le prétoire. Jeudi 3 juin, le voilà qui s’avance dans la salle d’audience du tribunal judiciaire de Paris consacrée au procès Mila, défendant un prévenu soupçonné d’avoir harcelé la jeune femme en ligne. Là, vêtu de sa robe noire et de son épitoge à trois rangs d’hermine, symbole des docteurs en droit, bien décidé à faire de ce cas un nouveau combat politique, il s’élance: «Dans un régime qui se prétend libéral et démocratiq­ue,

« Juan Branco est totalement interdit de séjour chez nous. » Les parents de son ex-petite amie

la massificat­ion de l’expression vise à permettre aux population­s de faire face à l’asymétrie, aux excès et aux corruption­s de quelques puissants», attaque-t-il. Avant d’insulter l’avocate de la partie civile, Me Lorraine Gay, associée du cabinet Malka (lequel défend également Benjamin Griveaux), qui représente selon lui « l’avanie et l’arrogance » de la bourgeoisi­e. Une bouillie verbale, rétorque aussitôt Me Gay, laquelle pointe « les pauvres arguties à peine juridiques » de son confrère, « copier-coller d’une précédente plaidoirie ».

La justice, Branco pourrait encore y avoir affaire en tant que mis en cause. Le jeune avocat fait l’objet d’une plainte pour viol, déposée par une femme avec qui il avait pris de la Lamaline, un médicament à base d’opium, et qui s’est sentie abusée lors d’un rapport sexuel auquel elle dit ne pas avoir consenti. Placé en garde à vue le 1er juin, lui a nié tout rapport contraint.

Plaintes pour viol et harcèlemen­t. Juan Branco est également ciblé par une plainte pour harcèlemen­t déposée par les parents de son ex-petite amie, Lola, après une rupture amoureuse. « Juan Branco est totalement interdit de séjour chez nous (…) J’ai reçu des SMS d’insultes et mon mari des mails (…). Il nous a envoyé vraiment des horreurs », a expliqué à la police la mère de la jeune femme. En 2020, c’est pourtant à nouveau au domicile de Lola, en l’absence de ses parents, que Juan Branco coorganise­ra la soirée du Nouvel An, en invitant notamment Piotr Pavlenski. Des violences éclateront, Pavlenski prendra la fuite et la police sera obligée d’intervenir. À leur retour, les parents constatero­nt le vol de statuettes, de bijoux de valeur, d’argent liquide et de documents administra­tifs, dont vingt ans de relevés bancaires. Juan Branco n’est pour rien dans ces faits, même si Lola l’a un temps « fortement soupçonné » pour « les papiers ». Il faut dire que, courant 2019, la jeune femme avait mystérieus­ement retrouvé sur l’ordinateur de son amoureux une photograph­ie du contrat de travail de son père, sans doute prise alors que le document traînait sur le bar de la cuisine.

Volontiers bretteur et provocant, Branco ne se prive pas de porter des attaques personnell­es, comme lorsqu’il révèle, en octobre 2018, l’homosexual­ité d’un secrétaire d’État – ancien camarade de classe à l’École alsacienne –, censée expliquer son ascension politique. Le gouverneme­nt, la plupart du temps, fait quant à lui le choix de l’ignorer malgré son pouvoir de nuisance. Une réponse sur les réseaux sociaux, et c’est la Toile qui s’emballe, la certitude d’alimenter une polémique à laquelle personne ne veut prendre part. Pour cela, Internet a créé une expression : « Don’t feed the trolls ! » (« Ne nourris pas les trolls ! »), laquelle puiserait son origine dans le film culte Gremlins, sorti en 1984. Un long-métrage qui met en scène de minuscules bêtes poilues à qui il ne faut surtout pas donner à manger après minuit sous peine de les transforme­r en de petits monstres espiègles et dangereux. En cinéaste averti, Juan Branco comprendra peut-être la référence, lui qui, au fil des années, est devenu acteur de son propre cinéma

 ??  ?? Plaidoyer. Juan Branco devant le tribunal de Paris, le 5 mars 2020. L’avocat annonçait avoir repris la défense de l’activiste russe Piotr Pavlenski, dans le cadre de l’enquête sur la diffusion de vidéos à caractère sexuel visant Benjamin Griveaux.
Plaidoyer. Juan Branco devant le tribunal de Paris, le 5 mars 2020. L’avocat annonçait avoir repris la défense de l’activiste russe Piotr Pavlenski, dans le cadre de l’enquête sur la diffusion de vidéos à caractère sexuel visant Benjamin Griveaux.
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 ??  ?? Haute-couture. Avec Catherine Deneuve au défilé Saint Laurent, à Paris, en mars 2016.
Haute-couture. Avec Catherine Deneuve au défilé Saint Laurent, à Paris, en mars 2016.
 ??  ?? Gilet jaune. Juan Branco manifeste contre la réforme des retraites, à Paris, le 5 décembre 2019.
Gilet jaune. Juan Branco manifeste contre la réforme des retraites, à Paris, le 5 décembre 2019.

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