À Alger, le baroud d’honneur du « carré féministe »
Résistantes. Les pionnières du mouvement de protestation Hirak sont contestées par des militantes conservatrices.
Alger, lundi 8 mars. Aux abords de la Faculté centrale, la tension est vive. « C’était violent, surprenant, désespérant », résume une étudiante. En cette Journée internationale des droits des femmes, des militantes féministes, de la génération des pionnières, organisent un sit-in devant l’université. Une manière de revitaliser le «carré féministe», cet espace réunissant les militantes qui avaient intégré le Hirak – mouvement populaire ayant conduit à la démission du président Bouteflika– depuis le printemps 2019. À peine formé, le regroupement, fort d’une cinquantaine de militantes brandissant des pancartes contre le Code de la famille (inspiré de la loi islamique et minorant le statut de la femme dans l’état civil), se retrouve confronté à d’autres femmes, mieux structurées et plus jeunes. « Nous sommes les vraies hirakistes, ici, on dénonce le régime», lâche une jeune fille en arrachant à une militante son écriteau. « Vous êtes les enfants de la France, ce n’est pas le moment de parler des droits des femmes, l’urgence est de faire tomber le régime », lance une autre membre de ces groupes constitués notamment de syndicalistes de l’éducation, un corps de métier très conservateur. Ces nouvelles venues veulent remplacer le premier carré féministe, formalisé dès le vendredi 22 mars 2019.
« Alliées de l’étranger ». Mais, ce 8 mars 2021, nous sommes très loin de l’ambiance de la massive manifestation du 8 mars 2019, où des milliers de manifestantes avaient déferlé sur les boulevards d’Alger en un mouvement unitaire, revendicatif et transgénérationnel. « J’étais là pour réclamer l’égalité entre les hommes et les femmes, pour dénoncer ce régime autoritaire et la société patriarcale qui le soutient, raconte une étudiante. Et, soudain, je me retrouve face à des femmes qui m’expliquent que la rue est à elles et que je dois me taire ! »
L’incident se produit à un moment critique du Hirak, alors que se pose la question de la propagation des slogans imposés par Rachad, un mouvement d’opposition en exil constitué, notamment, d’ex-militants et cadres du Front islamique du salut (FIS), dissous en 1992. L’incident a été peu médiatisé par les relais du Hirak sur les réseaux sociaux afin de « ne pas créer de divisions », selon l’un des militants. Nassera Merah, sociologue, lie l’émergence des islamistes au sein de la contestation aux difficultés que rencontrent les militantes à donner de l’ampleur à leur discours. « L’islamisation [du Hirak] et Rachad ont rempli le vide laissé par une pseudo-élite qui a finalement failli », explique-t-elle. D’autres y voient la main des autorités, comme le souligne la sociologue et féministe Fatma Oussedik dans une récente étude : «En vue de réactiver un sentiment d’unité nationale, le pouvoir a tenté d’opposer les manifestants aux “féministes’’, définies comme étant au service d’une idéologie occidentale, alliées de la “main de l’étranger’’ et donc, in fine, ennemies de la nation. »
Toujours est-il qu’islamistes et conservateurs sont devenus, par défaut, les forces dominantes du Hirak. Les slogans insurrectionnels de Rachad ont fait fuir une bonne partie de la classe moyenne, laissant l’espace aux segments les plus conservateurs. Le carré féministe, longtemps défendu par les autres manifestants, est aujourd’hui menacé par des groupes qui le présentent comme opposé à la «majorité musulmane » de la société
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« L’islamisation du Hirak et Rachad ont rempli le vide laissé par une pseudoélite qui a finalement failli. » N. Merah