Le Point

Yasmine Mohammed : « L’Occident m’a trahie »

Insoumise. La militante laïque dénonce le racisme des autorités canadienne­s, qui l’ont renvoyée à sa « communauté » quand elle a tenté de se libérer de sa famille intégriste.

- PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN PEYRON

Yasmine Mohammed a grandi à Vancouver, au Canada, une métropole très libérale, toujours bien placée dans les classement­s internatio­naux des villes où il fait bon vivre. Elle aurait dû devenir une Canadienne comme les autres. Sauf que sa famille est musulmane intégriste, composée d’une mère tyrannique et d’un beau-père violent qui la bat, la force à porter le hidjab et l’empêche de sympathise­r avec des « kouffars », des non-musulmans. Elle accuse la justice et les services sociaux canadiens de l’avoir abandonnée lorsque, à 12 ans, poussée par un professeur, elle décide d’alerter les autorités. Au juge elle raconte les coups, elle montre les brûlures sur son corps, elle dit son refus de vivre voilée. « Ce sont des pratiques courantes dans votre communauté, nous ne voulons pas interférer », lui rétorque-t-on…

Son livre, encore non traduit en français (Dévoilée. Comment les libéraux occidentau­x renforcent l’islam radical), résonne comme un avertissem­ent : même en Occident, l’intégrisme religieux prive des jeunes filles d’une vie libre.

Elle y décrit les voyages en Égypte, son pays d’origine, où elle découvre que ses cousines du Caire sont plus libres qu’elle à Vancouver. Elle relate son mariage forcé avec un mari djihadiste, lié à Al-Qaïda et proche de Ben Laden, qui la viole et tente de faire exciser leur fille. Elle raconte sa fuite, le moment où elle réalise qu’elle peut abjurer, qu’elle peut donner l’éducation qu’elle souhaite à ses enfants. Et le jour où elle se présente dévoilée devant sa mère, qui ne voudra plus jamais la revoir. Elle critique surtout le racisme d’une société canadienne qui, sous couvert de tolérance aux différence­s culturelle­s, abandonne certains de ses enfants à des familles extrémiste­s. La mort, la fugue, elle y a pensé des dizaines de fois. Aujourd’hui, via son organisati­on Free Hearts, Free Minds, elle soutient les jeunes filles qui, comme elle à l’époque, ne savent pas vers qui se tourner.

Le Point: Vous avez longtemps gardé votre histoire cachée, jusqu’à ce jour de 2014 où un événement vous pousse à raconter votre vie. Que s’est-il passé? Yasmine Mohammed:

« Les néoféminis­tes, qui défendent le hidjab, sont devenues les idiotes utiles de l’islamisme. J’en éprouve du dégoût. »

Je regardais à la télévision l’émission de Bill Maher, qui recevait l’auteur Sam Harris. Ils évoquaient le sort des gens qui renoncent

à l’islam et qui sont persécutés ou même exécutés pour cela. J’avais l’impression qu’ils parlaient de moi! Ils étaient d’accord pour dire que l’Occident devait soutenir ces gens courageux. Mais l’acteur Ben Affleck, également invité, les a coupés, furieux, les accusant d’être « dégoûtants » et « racistes ». Il est parvenu à mettre fin immédiatem­ent au débat. Pour une fois que je voyais cette question, si importante pour moi, être abordée sur une grande chaîne américaine, il a fallu qu’un chevalier blanc débarque et interrompe la conversati­on. J’étais hors de moi, je me suis sentie blessée et trahie.

Le pire, c’est que, le lendemain, tous les réseaux sociaux soutenaien­t Affleck et critiquaie­nt Maher et Harris. Alors je me suis dit qu’il fallait que je parle. Je voulais me présenter au monde ainsi : je suis une femme arabe à la peau foncée et je pense exactement la même chose que Bill Maher et Sam Harris. Les gens ne pouvant pas attaquer mes origines ou mon statut, ils seront obligés de débattre réellement des idées que j’avance.

Votre livre commence par votre enfance à Vancouver, sous la coupe de parents intégriste­s qui vous forcent à vivre coupée du monde. Une situation pas si rare, dites-vous.

J’ai reçu un nombre incalculab­le de témoignage­s de jeunes filles qui se reconnaiss­ent dans mon histoire. Au Canada, au Royaume-Uni, en France, en Allemagne, en Suède… Malheureus­ement, mon cas est loin d’être unique. Je voudrais d’ailleurs faire un second livre avec tous ces témoignage­s.

L’un des éléments les plus dramatique­s de votre histoire survient à l’âge de 12 ans, quand l’un de vos professeur­s vous pousse à dénoncer votre famille aux services sociaux canadiens. Comment avez-vous été reçue?

Ce professeur arrive à me convaincre de m’élever contre ma mère et mon beau-père. Il témoigne devant la police et dit avoir vu des brûlures sur mon corps. L’affaire est portée jusqu’à un juge, mais celui-ci estime que, dans ma « communauté », les punitions corporelle­s sont souvent plus fortes que dans la moyenne des familles canadienne­s. Que c’est ainsi. Jamais je ne me suis sentie autant trahie. Le Canada m’a trahie. L’Occident m’a trahie. J’ai fait une grande dépression ensuite, accompagné­e de pensées suicidaire­s.

Vous dites que si vous aviez été blanche, l’État canadien vous aurait protégée.

J’en suis sûre à 100 %. Le voilà, le vrai racisme : le juge me demande d’endurer des coups, de la torture, car ce serait dans la « culture » de ma communauté, de ma famille… En cela je ne suis pas l’égale des autres enfants canadiens.

Le juge prendrait-il aujourd’hui la même décision?

Tout à fait. Rien n’a changé au Canada. Le seul endroit où la situation s’améliore, c’est au Québec. Récemment, une jeune fille maltraitée par sa famille a été soutenue par les autorités qui l’ont mise à l’abri. Je crois qu’en France l’État protège aussi les mineures sous l’emprise de parents fanatiques. J’ai entendu Emmanuel Macron dire qu’il n’acceptait pas les familles où les filles sont traitées différemme­nt des garçons. Mais c’est malheureus­ement assez rarement le cas à travers le monde.

Comment peut-on venir en aide à ces jeunes filles en quête de libération?

Le système éducatif est primordial. C’est pour cela que je suis opposée aux écoles religieuse­s, qui séparent les enfants du reste de la société. J’ai vécu dans un monde parallèle, j’ai grandi au Canada, mais sous le diktat de la charia. L’école publique est une échappatoi­re. C’est souvent le lieu où les filles obligées de porter le hidjab l’enlèvent pour la première fois. Malheureus­ement, certains professeur­s tentent de les dissuader en leur disant : « Ne trouves-tu pas cela irrespectu­eux pour tes parents et ta culture de l’enlever ? » Au lieu de soutenir les enfants, ils défendent le patriarcat et le système oppressif dans lesquels elles sont élevées. Moi, je leur dis : « Battez-vous pour votre liberté, que ce soit en enlevant votre hidjab, en affirmant votre homosexual­ité, ou en renonçant à une religion. »

Des jeunes femmes disent que leur liberté, c’est justement de porter le hidjab.

Les femmes adultes qui le veulent peuvent choisir de porter le hidjab, de soutenir le patriarcat. C’est leur problème. Mais la France a raison de vouloir protéger les enfants. Surtout les petites filles, à qui on enseigne qu’elles ne sont pas les égales des garçons, qu’elles ne doivent pas se mélanger.

Vous militez pour le #NoHijabDay dans le monde. Que pensez-vous du #WorldHijab­Day, qui invite les non-musulmanes à porter le voile pendant un jour en signe de solidarité?

C’est désespéran­t. En voulant faire preuve de compassion, ces pseudo-militantes soutiennen­t le machisme. Les Occidental­es non musulmanes qui enfilent un hidjab ont-elles une pensée pour ces femmes qui risquent leur vie en essayant de l’enlever ? Elles ne comprennen­t pas que le hidjab n’est pas un simple habit culturel, mais bien un signe religieux. Je suis bien placée pour en parler, j’en ai souffert pendant des années.

Vous dites que la nouvelle génération de féministes a trahi la cause des femmes.

Absolument. À titre personnel, je me sens totalement trahie par elles. J’en éprouve de la colère, et même du dégoût. Un jour, je recueille le témoignage d’une jeune Iranienne qui a eu les genoux cassés par la police après avoir ôté son voile et, le lendemain, je vois que des poupées Barbie voilées vont être vendues aux petites Canadienne­s. Savez-vous ce que la police religieuse iranienne dit aujourd’hui aux femmes ? « Même en Occident, des femmes non musulmanes défendent le hidjab, et toi, tu voudrais te dévoiler ? » Ils utilisent ces néoféminis­tes, qui sont devenues les idiotes utiles de l’islamisme. Sans s’en rendre compte, elles se battent contre les vraies féministes, qui, elles, risquent leur vie ■

 ??  ?? Combattant­e. Yasmine Mohammed a lancé le hashtag #NoHijabDay, en opposition au #WorldHijab­Day. Via son associatio­n Free Hearts, Free Minds, elle veut soutenir les jeunes filles oppressées.
Combattant­e. Yasmine Mohammed a lancé le hashtag #NoHijabDay, en opposition au #WorldHijab­Day. Via son associatio­n Free Hearts, Free Minds, elle veut soutenir les jeunes filles oppressées.

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