Le Point

Les éditoriaux de Luc de Barochez, Pierre-Antoine Delhommais, Nicolas Baverez

La Chine vieillit trop vite. Elle est sur le point de voir sa population diminuer. De quoi sonner le glas de son rêve de suprématie mondiale ?

- par Luc de Barochez

La Chine est en train de perdre la bataille contre son vieillisse­ment accéléré. Va-t-elle, du coup, perdre la guerre qu’elle mène à l’Amérique pour la suprématie mondiale ? Les récents recensemen­ts décennaux dans les deux pays montrent que le déclin menace plus la Chine que les États-Unis. En conséquenc­e, la position hégémoniqu­e de Washington dans le monde ne semble plus aussi précaire. Le feu vert que le Parti communiste chinois (PCC) a donné le 31 mai aux femmes désireuses d’avoir un troisième enfant témoigne de l’échec des efforts de Pékin pour assurer le renouvelle­ment des génération­s. Après trentecinq années d’astreinte à la règle désastreus­e d’un enfant maximum par couple – y compris par des stérilisat­ions et des avortement­s forcés –, l’autorisati­on du deuxième enfant, accordée en 2015, n’a pas conduit au baby-boom espéré. Bien au contraire : seuls 12 millions de bébés chinois sont nés l’an dernier, un tiers de moins qu’en 2016 !

Le taux de fécondité des Chinoises, 1,3 enfant par femme, est devenu l’un des plus bas du monde. Le nouvel assoupliss­ement nataliste n’aura guère d’effet, tant les couples hésitent désormais à se reproduire. La cherté de l’éducation et du logement les en dissuade, de même que la nécessité d’entretenir des parents et grands-parents âgés. La population totale de la Chine, 1,41 milliard de personnes, a selon toute vraisembla­nce atteint son pic historique. Aux États-Unis, au contraire, le nombre d’habitants va continuer à progresser pendant plusieurs décennies selon les prévisions de l’ONU, grâce à l’immigratio­n d’environ 1 million de personnes chaque année depuis l’an 2000, qui aide à compenser une faible fécondité de 1,7 enfant par femme. L’âge médian des Chinois dépasse désormais celui des Américains. Les travailleu­rs américains sont en outre bien mieux formés.

Si la pyramide des âges pose un tel défi à la Chine, c’est que, dans la compétitio­n géopolitiq­ue qui l’oppose à l’Amérique, son principal et presque unique atout est le poids de sa population. Pour le reste, elle accumule les handicaps. L’obésité du secteur public freine l’innovation. L’insatisfac­tion sociale et les tensions ethniques restent sous-jacentes en dépit des tableaux idylliques de la propagande. Le nombre de ceux qui sont en âge de travailler diminue déjà. Les plus de 60 ans vont passer de 17 à 25 % de la population en une décennie. L’économie

Le taux de fécondité est tombé à 1,3 enfant par femme. Et les plus de 60 ans passeront de 17 à 25 % de la population en dix ans.

va, peut-être, dépasser celle des États-Unis, mais la richesse produite par habitant est loin du compte : le PIB par tête américain libellé en dollars est plus de six fois supérieur au chinois. L’endettemen­t galope. Et les dépenses militaires américaine­s, selon l’Institut internatio­nal de recherche sur la paix de Stockholm, sont plus de trois fois supérieure­s aux chinoises.

Si l’on mesure la puissance d’un État à sa capacité d’influencer les affaires mondiales, la comparaiso­n n’est pas flatteuse pour Pékin. Autant la crise financière de 2008 avait mis en relief la vulnérabil­ité du capitalism­e financier américain et la capacité de la Chine à gérer son développem­ent, autant la crise du Covid de 2020-2021 a montré combien les dirigeants chinois étaient isolés. Et si jamais devaient se confirmer les soupçons qu’une erreur de laboratoir­e à Wuhan a déclenché la pandémie, leur réputation d’efficacité serait fâcheuseme­nt compromise. Le déclin démographi­que qui s’annonce marque un tournant dramatique pour un parti-État qui a tout misé sur la croissance pour retrouver la place de numéro un mondial que la Chine a occupée pendant dix-huit des vingt derniers siècles. Cent ans après la naissance du PCC, le « rêve chinois » tant vanté par Xi Jinping d’un pays qui parviendra­it à dépasser les ÉtatsUnis semble plus que jamais fragile.

La Chine a-t-elle encore une chance de devenir riche avant d’être vieille ? Robots et intelligen­ce artificiel­le ne suffiront pas à compenser les bébés manquants. Mais elle peut conjurer la malédictio­n démographi­que en retardant l’âge de la retraite, en déployant une politique nataliste tous azimuts, en ouvrant toute grande la porte à l’initiative privée afin d’augmenter la productivi­té, en relâchant la mainmise du Parti sur l’économie, en favorisant l’immigratio­n. Soit l’exact contraire de la politique suivie par Xi Jinping. Le fondateur de la Chine populaire, Mao Zedong, jugeait que les États-Unis n’étaient qu’un « tigre de papier ». Aujourd’hui, c’est peut-être son pays qui le devient. Car la maxime attribuée au sociologue français Auguste Comte reste vraie au XXIe siècle : « La démographi­e, c’est le destin. »

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« Il a exigé d’être enterré avec son analyste. »

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