Le Point

La chronique de Patrick Besson

- Patrick Besson

En France, la lutte contre l’extrême droite marque le pas de l’oie. Un certain nombre de pratiques – déjeuner ou dîner avec un membre du RN, débattre dans un hebdo avec un publiciste ultranatio­naliste, rendre compte sans haine d’un pamphlet hyperréact­ionnaire – étaient naguère interdites. Quiconque s’oubliait à baguenaude­r sur les terres du lepénisme était aussitôt mis à l’écart de la vie intellectu­elle et politique française. On ne lui parlait plus à la télé, on ne l’invitait plus au restaurant. Il était tabou.

Est-ce l’un des effets pervers d’un trop long confinemen­t ? L’extrême droite, dans notre pays, ne gêne plus grand monde. Du bout des lèvres mais en ouvrant bien la gueule, on lui reconnaît le mérite d’avoir posé les vraies questions qui tourmenten­t aujourd’hui les Français : l’immigratio­n et la sécurité. Faudra-t-il créer une police pour protéger les policiers ? Le gendarme et son garde du corps. Le strapontin dégradant sur lequel s’agitait naguère le lepéniste, confortabl­ement assis désormais dans les meilleurs fauteuils des talk-shows télévisés, on l’a réservé d’abord au populiste. La lutte antifascis­te a été remplacée par un combat moins marqué à gauche : l’antipopuli­sme. Son acmé a été les Gilets jaunes, sombre rappel des Chemises noires de la marche sur Rome de Benito Mussolini. Soudain, la gauche était populaire et portait un uniforme, c’est donc qu’elle était d’extrême droite. Le populiste devint le nouvel ennemi du genre politique humain. À côté de ce repoussoir, le lepéniste récupéra une sorte de dignité. On lui reconnaiss­ait le mérite, au contraire du populiste, de s’exprimer dans un bon français. Il sortait parfois de Polytechni­que, ce qu’un populiste aurait été bien incapable de faire.

La lutte contre le populisme ne dura pas longtemps. Privé de son gilet jaune, confiné dans sa modeste demeure voisine d’un rond-point, affublé d’un masque FFP2 et interdit de manifestat­ion pour raisons sanitaires, le populiste français, à l’instar de son homologue russe du XIXe siècle, rendit les armes. Il fallait trouver quelqu’un d’autre. Sans salaud, comment s’indigner, cette indignatio­n dont les hommes politiques retirent les meilleurs effets de manches et de bons résultats électoraux ?

Surgit alors le complotist­e : un lepéniste geek doublé d’un populiste sans peuple. L’ennemi idéal : il est faible puisqu’il est seul, mais il est intouchabl­e, car il est partout. L’histoire du complotism­e est sans fin : elle commence à la crucifixio­n du Christ et se poursuit aujourd’hui avec celle de Bill Gates. Le complotist­e voit des complots qui n’existent pas mais, quand il en repère un vrai, il est simple de le traiter alors de complotist­e, ce qui l’amène évidemment à penser qu’il y a un complot contre lui. Combien de temps ce personnage flou et neurasthén­ique tiendra-t-il le coup face à l’hostilité des réseaux contre son complotism­e et par qui sera-t-il remplacé ? Une présidente RN de la République ?

Sans salaud, comment s’indigner, cette indignatio­n dont les hommes politiques retirent les meilleurs effets de manches et de bons résultats électoraux ?

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Des Gilets jaunes bloquent l’A8, près d’Antibes, en novembre 2018.

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