L’éditorial d’Étienne Gernelle
Nous n’avons jamais vu le nombril de M. Mélenchon, mais il doit être grandiose. Car lorsque le Lider Maximo de La France insoumise décrit les attentats de Toulouse et Montauban (2012) ou des Champs-Élysées, à Paris (2017) comme de « graves incidents » servant un objectif électoraliste, il se vautre non seulement dans le complotisme le plus gras (lire l’éditorial de Sébastien Le Fol page 123), mais aussi dans un spectaculaire dédain pour les victimes du terrorisme islamiste dans le reste du monde.
Quoi ? Le phénomène ne concernerait que notre pays ? Le Burkina Faso vient, il y a quelques jours, d’être la cible d’un massacre d’une cruauté inouïe. Plus de 160 personnes, dont une vingtaine d’enfants, ont été tuées aux cris d’« Allah akbar », dans un village du nord du pays. Ce n’est, hélas, pas le premier carnage. Faut-il rappeler, une énième fois, que beaucoup plus de Syriens ou de Nigérians ont été tués par les islamistes que de Français ou d’Américains ?
M. Mélenchon, par ses propos, a non seulement craché sur les tombes des enfants assassinés par Mohammed Merah à l’école Ozar Hatorah de Toulouse, mais aussi sur celles, à peine creusées, des enfants burkinabés. Que dirait-il aux parents de ces derniers qui ont survécu ? Qu’ils ne sont, eux aussi, que les pions d’un « système » désireux, comme il l’affirme, de « montrer du doigt les musulmans » ? S’il lui restait encore un peu d’honneur, il se retirerait de la vie publique. Mais passons sur le cas Mélenchon, le problème ne se limite pas à ses divagations de fin de vie politique (lire le récit de Saïd Mahrane page 28). Il existe tout un courant en France qui a du mal à reconnaître que, de Raqqa à Rambouillet, de Ouagadougou à Nice, c’est la même idéologie qui tue. Que l’on ne peut minimiser la portée des attentats chez nous sans traiter par le mépris les meurtres de masse ailleurs, en Afrique et au Moyen-Orient notamment. Accuser la France ou l’Occident de fabriquer ou de manipuler la chose revient à ne faire aucun cas des victimes du Sud. Pourquoi ces dernières ne les émeuventelles pas? Le déni de l’islamisme est-il le fils d’un impensé raciste ? Peut-être, parfois. Ainsi prospèrent en tout cas certains professeurs de vertu, négligeant la souffrance au-delà de la Méditerranée pour mieux lustrer leur posture de ce côté-ci. « Dieu
nous préserve des saints », écrivait Bernanos…
Le même dédain est à l’oeuvre lorsque l’on parle des femmes. Nos artistes du déni seraient bien embêtés s’ils devaient rencontrer Alaa Salah, cette étudiante qui, à Khartoum, en 2019, a pris la tête de la révolte contre le pouvoir et ses lois d’inspiration islamiste qui interdisent notamment aux femmes de prendre part au débat public. Elle est montée sur le toit d’une voiture, pointant son index vers le ciel, dans un sublime geste
de défi et de courage, et a scandé : « Ils nous ont emprisonnés au nom de la religion, nous ont brûlés au nom de la religion, nous ont tués au nom de la religion » (lire l’enquête d’Armin Arefi et Julien Peyron page 36). Alaa Salah dit aussi aujourd’hui que « les Soudanaises n’ont pas besoin d’un homme pour savoir comment se vêtir ». Une évidence. Mais cette musulmane pratiquante, pire ennemie des islamistes, serait-elle aussi, selon la théorie mélenchonienne, un instrument du « système » ? Devrait-elle se taire parce qu’elle gêne les rhétoriques « pas-de-vaguistes » qui fleurissent chez nous, y compris dans ces mouvements dits « néoféministes » à l’engagement sélectif ?
Nous sommes tous des enfants burkinabés et des femmes soudanaises. Autant que nous sommes « Charlie » ou Mila. C’est, comme on dit, le même combat. Avec les mêmes déserteurs Étienne Gernelle ■
À nos lecteurs : unis face au monopole de Google
On connaît désormais très bien le mécanisme. Ce sont les journaux qui paient des reportages, des enquêtes… et des journalistes. Et ce sont Google et les autres grandes plateformes qui se goinfrent grâce aux articles indexés, lesquels leur apportent non seulement du contenu, mais leur permettent surtout d’exploiter les données des lecteurs. Pour remédier à cette prédation, aussi profitable pour les géants californiens que destructrice pour la presse, l’Union européenne a mis en place par une directive ce que l’on appelle les « droits voisins ». La France a transposé le dispositif dans la loi, mais la négociation prévue par cette dernière s’est révélée être un cauchemar face à Google, un monopole incroyablement puissant – et retors, nous pouvons en témoigner ! Mieux vaut donc s’unir. C’est pourquoi le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), dont Le Point est membre, s’associe avec la Sacem (acteur majeur des droits d’auteur dans la musique) pour créer un organisme de gestion collective (OGC). Tous les journaux qui partagent cette philosophie y seront évidemment les bienvenus. Alain Augé (SEPM) et JeanNoël Tronc (Sacem) ont dévoilé le 7 juin cet accord crucial. L’union fait la force. Elle peut surtout nous permettre de préserver les conditions de notre liberté.
De Raqqa à Rambouillet, de Ouagadougou à Nice, c’est la même idéologie qui tue.