Extraits du rapport : quelques exemples
« Un universalisme creux et clivant »
Contrairement au gloubi-boulga servi par quelques médias de droite, papier, télévisuels ou numériques, ne mélangeons pas tout. Il n’en va pas du « décolonial » comme de « l’islamo-gauchisme ». Le premier, qui se dit en anglais subaltern ou post-colonial studies, est un véritable paradigme naissant de la pensée contemporaine, qui concerne les « minorités », femmes, queer, Blacks, Amérindiens. Leurs concepts ont été forgés dans et par de nouveaux mouvements sociaux, exclus des anciennes analyses fondées sur les classes sociales, ou bien rabotés pour rentrer dans le lit de Procuste de l’orthodoxie politique de gauche comme de droite. Les sujets subjectifs de ces mouvements sortent de l’invisibilité et revendiquent une place, comme le fit le Tiers État. Le fait qu’ils deviennent des sujets de conversation, matières à débats ou à controverses scientifiques, n’implique pas de passer sous silence leur origine subjective. À la controverse qui accuse les recherches liées à ces mouvements d’être la trace d’un militantisme malséant, on a envie de répondre que c’est le jeu et la vie de la pensée. L’histoire des sciences, l’Histoire tout court, la culture, la mémoire sont toujours un champ d’affrontements. Les débats que voudraient provoquer de façon récurrente les extrémistes de la République Une et Indivisible, face aux Démocrates anglo-saxons et aux multiculturalismes, sur l’usage du terme de race, de genre, d’intersectionnalité, en révèlent plus sur ceux qui les lancent que sur le sujet dont ils s’emparent. Il y a de tout dans cette querelle qui s’annonce, du symptomatique intéressant et sincère comme le dernier livre d’Élisabeth Roudinesco comme du prurit d’une intolérance maladive et ravageuse dans les multiples interventions médiatiques de Nathalie Heinich. […] La réaffirmation d’un universalisme creux et clivant, qui n’a plus rien à dire que de ressasser la lutte contre le « séparatisme » est la conséquence logique, sur le terrain de la politique électorale de bas étage, d’un grand repli de la pensée, d’une nouvelle « trahison des clercs ». […] Invoquant la « rigueur scientifique » au nom d’un universalisme de pacotille, agrippé à sa position dominante, la démarche soi-disant « républicaine » de rejet de toutes les innovations potentielles d’une décolonisation des savoirs se crispe au lieu de saisir dans l’université, dans la recherche, des possibilités de compréhension véritable de tous les phénomènes nouveaux qui agitent le corps social.
« Décolonial, vous avez dit “décolonial” ? », extrait de la revue « Multitudes », été 2021.