Le Point

Dans l’intérim, recruter est un sport de combat

- NICOLAS BASTUCK

Dix électricie­ns, cinq menuisiers, trois serveurs, huit chauffeurs de poids lourds, quatre soudeurs, un contrôleur de gestion, cinq assistants de vie… Chaque matin, à l’agence Triangle Intérim de Belfort, le rituel est immuable. Christine Coulmier, la directrice, communique à ses trois recruteurs le « tableau de commandes » du jour. Comprenez : la liste des postes non pourvus – une trentaine, ce jour-là.

« Nous sommes des chercheurs d’or ! » aime répéter cette profession­nelle du travail temporaire qui mobilise chaque jour 300 personnes en moyenne. Dans ce territoire industriel (Peugeot Sochaux, Alstom…), son agence est l’une des plus rentables de son groupe – qui en compte 270, en France et en Europe. « Trouvez-moi cinq ébénistes et je les délègue tout de suite ! J’ai besoin sur-le-champ d’une dizaine d’opérateurs de câblage ; j’en ai trouvé deux et je suis contente », confie-t-elle.

Le secteur de l’intérim est confronté à un renverseme­nt de situations inédit : « Quand je tiens un bon candidat, quel que soit son métier, je le retiens, même si je n’ai pas de mission pour lui sous la main, relate Christine Coulmier. Un coup de fil et je l’ai casé. C’est devenu si rare, un profession­nel motivé doté d’un bon potentiel ! » Quels sont les secteurs en tension ?

« Tous ! » répond-elle sans hésiter. C’est pourquoi la concurrenc­e est rude.

« Quand vous avez un bon CV dans les mains, il faut aller vite et se montrer persuasif ; les travailleu­rs qualifiés n’hésitent plus à faire monter les enchères. » Wilfried Merafina, directeur général du groupe Triangle, le confirme :

« La différence entre un salaire de base et le cumul des aides sociales est si minime que travailler n’est pas toujours rentable », constate-t-il. « Bon nombre de travailleu­rs, notamment ceux qui exercent un métier pénible ou aux horaires compliqués, ont profité du confinemen­t pour réorienter leur carrière et revoir leurs choix de vie, ajoute-t-il. Comme l’activité est repartie plein pot, cela crée des tensions importante­s auxquelles nous essayons de répondre avec des outils modernes et en rendant nos missions attractive­s. » Quitte à recruter du personnel qualifié en Roumanie, en Pologne ou au Portugal, où le groupe Triangle est implanté. « On a perdu en France énormément de qualificat­ion ; on paie au prix fort des années de dénigremen­t du travail manuel, soupire Wilfried Merafina. Disons-le, la valeur travail est devenue moins importante ; le détachemen­t est de mise… »

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