Les éditoriaux de Luc de Barochez, Nicolas Baverez, Laetitia Strauch-Bonart
Le décalage s’accroît entre l’image d’une France persuadée de son influence mondiale et une action extérieure infructueuse.
La politique étrangère de la France est désormais tendue vers un objectif : la réélection d’Emmanuel Macron. Jusqu’à l’élection présidentielle d’avril 2022, les prises de position et initiatives de Paris sur la scène mondiale devront être analysées à la lumière de la campagne. Ainsi de la décision du président de la République de restructurer le déploiement des troupes françaises au Sahel, en faveur d’un dispositif plus resserré et moins exposé. Le chef de l’État a annoncé simultanément « la fin de l’opération Barkhane » et « la poursuite de notre engagement au Sahel ». Un « en même temps » paradoxal qui s’explique par la nécessité de résoudre la quadrature du cercle électoral.
Un retrait complet aurait été vu comme un échec humiliant de l’opération antidjihadistes. Il aurait entaché le bilan de l’action de Macron au Sahel, « épicentre », selon lui, du terrorisme international. En ordonnant le retour d’une partie des troupes, il tient compte de la lassitude de l’opinion et cherche à empêcher que lui soit reprochée son inaction – surtout si le bilan de 55 militaires tués venait à s’alourdir. Il prend, par la même occasion, ses distances avec les militaires putschistes au Mali. Il ne souhaite pas que les négociations que ces derniers mènent avec des groupes djihadistes puissent être exploitées contre lui.
L’ambiance préélectorale se fait aussi sentir quand Emmanuel Macron défend, au sommet du G7 en Cornouailles, une position en pointe contre Boris Johnson sur la question irlandaise. Ou lorsqu’il fait en sorte que les propositions de la nouvelle conférence sur l’avenir de l’Europe, dont il peut à juste titre revendiquer la paternité, soient présentées en mars prochain, juste avant le scrutin présidentiel. Ou encore lorsqu’il accentue la pression sur des pays du Maghreb et d’Afrique subsaharienne pour qu’ils lèvent les obstacles au retour de leurs ressortissants en situation irrégulière en France.
Sous la Ve République, la politique internationale est un levier qui permet au chef de l’État candidat à sa réélection de se démarquer de ses concurrents, renvoyés à leur dimension franco-française, et de se poser en dirigeant au-dessus des partis. François Mitterrand en 1988, Jacques Chirac en 2002, Nicolas Sarkozy en 2012, n’ont pas agi autrement. Emmanuel Macron peut-il lui aussi faire campagne sur son aptitude à incarner les intérêts et les valeurs de la France dans le monde ? Il pourrait être tenté d’y voir une planche de salut, lui qui a été empêché par une série de circonstances imprévues – et aussi par un manque d’audace – de réaliser les réformes dont il rêvait sur le plan intérieur.
Mais son action extérieure, malgré ses efforts, manque de réalisations dont il pourrait se targuer, et pas seulement au
La politique internationale est un levier qui permet au candidat de se poser en dirigeant au-dessus des partis.
Sahel. Ses coups d’éclat au Liban, en Méditerranée orientale ou contre la « mort cérébrale » de l’Otan sont souvent tombés à plat. En Libye, il a parié sur le mauvais cheval. Au Haut-Karabakh, il n’a pas pu épargner à l’Arménie une défaite douloureuse. En Russie, son offre de dialogue à Vladimir Poutine a été infructueuse. Seule Angela Merkel lui a sauvé la mise en Europe lorsqu’elle a accepté des premiers emprunts communautaires pour financer la relance post-Covid.
Ce bilan diplomatique amer illustre le décalage entre une France qui se voit comme une puissance de premier rang et son action extérieure, en panne d’efficacité. L’évolution date de bien avant l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, mais, là comme ailleurs, la crise du Covid a agi comme un révélateur et un accélérateur. Sans surprise, le premier dirigeant européen que le président Joe Biden a invité à la Maison-Blanche est la chancelière allemande.
À la fin de sa vie, le général de Gaulle* confiait : « C’est parce que nous ne sommes plus une grande puissance qu’il nous faut une grande politique, parce que si nous n’avons pas une grande politique, comme nous ne sommes plus une grande puissance, nous ne serons plus rien. » Jusqu’à l’élection, il reste quelques mois à Emmanuel Macron pour ébaucher ce que pourrait être cette « grande politique » à mettre en oeuvre pendant un hypothétique deuxième mandat. Mais il doit aussi garder à l’esprit qu’Angela Merkel, elle, n’a jamais eu besoin de recourir à des artifices de politique étrangère pour se faire élire quatre fois d’affilée depuis seize ans
■ (*) Cité par Frédéric Bozo, La Politique étrangère de la France depuis 1945, Flammarion, 2019.