François Burgat : « L’histoire de la chasse n’est pas écrite de la même façon par le lion ou le chasseur »
Contrepoint. Figure militante de la gauche universitaire, François Burgat assure que l’engagement ne nuit pas à la scientificité.
Le Point: Peut-on être chercheur et militant? François Burgat :
Il serait d’une extrême hypocrisie de prétendre le contraire. Nos engagements et nos cadres culturels respectifs interfèrent inévitablement avec nos travaux. Des milliers de pages de l’historiographie officielle de la France sont là pour l’attester.
Cela modifie tout de même profondément la nature des savoirs et de la recherche…
Les thèmes et les méthodes de la recherche en sciences sociales changent ? C’est une bonne nouvelle. Nous nous enrichissons de ces évolutions. La dernière et la plus incontournable d’entre elles est que, depuis quelques décennies, les descendants des populations dominées pendant la phase coloniale ont acquis les ressources – linguistiques, sociales, politiques – les mettant en capacité de réclamer à la fois le droit de participer à l’écriture de leur histoire et le contenu concret de leurs droits à l’égalité. Cette réaction peut-elle produire des dérives ? Oui, bien sûr. Mais le bénéfice de cet élargissement de l’assise de notre regard sur le monde est incommensurablement supérieur à un possible revers négatif, que les instances scientifiques sont parfaitement capables
– bien mieux que nos gouvernants – d’autoréguler.
Jusqu’à maintenant, ces instances ne semblent pas en mesure d’endiguer les débordements.
En êtes-vous certain ? Il serait bon que ces accusations soient illustrées de façon plus convaincante ! Or c’est loin d’être le cas. Je crois au contraire que cette prise de parole, cette participation de celles et ceux qui ont souffert de ce dualisme colonial améliorent la scientificité de nos productions bien plus qu’elles ne l’altèrent.
Donc vous estimez que l’on doit renoncer à cette prétention à l’objectivité?
Je pense très exactement le contraire. En revanche, nous n’avons pas le monopole de l’expression objective de cet universel. Élargir l’assise de son expression, c’est le renforcer, pas l’affaiblir, et surtout pas le nier.
Vous pensez au «camp réactionnaire», pour résumer les choses?
Vous n’ignorez pas que l’histoire de la chasse n’est pas écrite de la même façon par le lion ou le chasseur. Aujourd’hui, une puissante dynamique entend faire prévaloir un regard incluant ceux qui ont subi en silence la parenthèse coloniale. Leurs revendications, une petite minorité (il est essentiel de le rappeler) de voix savantes se contente de les discréditer en les qualifiant d’ « islamistes » si elles viennent de populations de culture musulmane ou de « racialistes » si elles viennent d’ailleurs.
Vous vous définissez comme chercheur, comme militant?
Les deux, si c’est des droits de l’homme que l’on parle ! Mais mon respect de la scientificité n’en demeure pas moins profond. Il se trouve que je me suis politisé en réalisant, lors de sept années passées en Algérie, que des pans entiers de l’historiographie coloniale française officielle n’étaient qu’un énorme mensonge. Trop d’acteurs essentiels avaient été exclus de la construction de notre regard scientifique sur cette séquence. En cautionnant leur réintroduction dans notre universel, je ne veux donc pas déposséder nos travaux de leur scientificité, mais, au contraire, renforcer cette dernière.
N’est-ce pas un problème quand certains expliquent que l’universalisme n’est qu’une «pensée blanche» dont on doit s’affranchir?
Ceux qui sont accusés de s’affranchir de l’universel n’entendent que le protéger d’une appropriation réductrice par ceux qui confondent l’universalisme avec leurs codes culturels, qui sont en réalité territorialisés et circonstanciels. Le degré de modernité de la femme est-il réellement inversement proportionnel à la superficie de son maillot de bain ? D’autres pensent différemment. Leur point de vue est-il antinomique avec la notion d’universalisme ? Le monde entier est en train de nous dire : vous n’êtes plus les seuls ! Pas de quoi perdre le nord…
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