Le Point

Le grand test des régionales

- PAR JERÔME CORDELIER, JACQUES PAUGAM, OLIVIER PÉROU, NATHALIE SCHUCK, GÉRALDINE WOESSNER

Les régionales et départemen­tales des 20 et 27 juin donneront le coup d’envoi de l’élection reine, la présidenti­elle. Avant même le premier tour, ces scrutins recelaient déjà quelques leçons politiques.

Les cogitation­s de Macron. Contre toute attente, le chef de l’État affiche en petit comité une confiance raisonnabl­e. « Il continue de penser que les régionales seront une grande victoire ! » confie, sceptique, un ministre. Faute de pouvoir gagner des régions – à l’exception du Centre-Val de Loire où Marc Fesneau, ministre chargé des Relations avec le Parlement, a ses chances –, Emmanuel Macron compte sur cette élection pour poursuivre son opération de fracturati­on de la droite, en imposant localement des accords aux Républicai­ns, dans le Grand-Est par exemple. Le président joue gros en Paca : si l’alliance LREM-LR autour de Renaud Muselier permet de battre le favori, Thierry Mariani, il aura sa martingale pour la présidenti­elle et pourrait convaincre des élus de droite de le rejoindre. Sinon, tout s’effondre. Si le RN remporte une à trois régions, le président ne pourra plus accréditer l’idée qu’il est le rempart idéal contre Marine Le Pen. Pis, si Xavier Bertrand s’impose face au RN dans les Hauts-de-France, Macron aura devant lui un rival revigoré, tout comme Valérie Pécresse en Île-deFrance. Contre eux il a aligné pas moins de dix ministres. Au gouverneme­nt, beaucoup se préparent à un possible remaniemen­t pour constituer une équipe de combat. Qu’adviendra-t-il de Jean Castex si le RN s’empare de la région Sud, alors qu’il s’est personnell­ement engagé ? Le crédit politique du Premier ministre serait forcément fragilisé. Un fidèle macroniste le

concède : « Si au soir du 27 juin tu as raté ton coup et explosé le Premier ministre, ce n’est pas terrible… »

Le RN en embuscade. Pour le parti de Marine Le Pen, en voie de normalisat­ion, une prise régionale serait hautement symbolique. Dans les sondages, pourtant, rien n’indique une poussée particuliè­re du parti à la flamme. En 2015, déjà, l’ancien Front national était arrivé en tête au premier tour dans six régions, les stars Marion Maréchal et Marine Le Pen dépassant même 40 % en Paca et dans les Hauts-deFrance. Mais la mobilisati­on d’un solide front républicai­n au second tour avait balayé tout espoir de victoire. Six ans plus tard, les thèmes portés par le RN se sont popularisé­s, et la digue paraît plus fragile dans les six régions (encore !) où le parti d’extrême droite est donné en tête. En Paca, le transfuge de l’UMP Thierry Mariani, crédité du même score que Marion Maréchal en 2015, peut l’emporter. En Bourgogne-Franche-Comté, la liste RN menée par Julien Odoul est annoncée en recul par rapport à 2015, mais pourrait s’imposer dans une quadrangul­aire, alors que l’union de la gauche a volé en éclats, PS, EELV et LFI défendant aujourd’hui des lignes difficilem­ent conciliabl­es. Même scénario en Centre-Val de Loire, où le RN pourrait sortir vainqueur d’une quadrangul­aire serrée, aucune liste ne se détachant réellement.

Si le RN remporte une à trois régions, Emmanuel Macron ne pourra plus accréditer l’idée qu’il est le rempart contre Marine Le Pen.

La vraie primaire de la droite. La bataille des régionales sera déterminan­te pour l’opposition tant elle pourrait départager les ambitions. Pour les présidenti­ables putatifs Valérie Pécresse (ex-LR, Libres !) en Île-de-France et Laurent Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes, l’objectif est d’arracher la réélection la plus large possible pour apparaître comme le champion naturel de leur camp et tuer le match. Une stratégie de la « Zapatera » inspirée de Ségolène Royal, qui s’était imposée comme la candidate du PS après sa victoire éclatante aux régionales de 2004 dans sa région

Poitou-Charentes. Ancien ministre de la Santé et seul candidat déclaré, Xavier Bertrand (ex-LR) ambitionne pour sa part d’apparaître comme le meilleur rempart face au RN en écrasant le représenta­nt local de Marine Le Pen, Sébastien Chenu. À moins que ce trio ne se fasse coiffer au poteau par le patron de l’Associatio­n des maires de France, François Baroin, qui s’est opportuném­ent affiché en soutien de plusieurs candidats en lice. Le patron de LR, Christian Jacob, ayant annoncé une grande enquête sondagière pour sélectionn­er le candidat de son parti à l’automne, c’est bien à une primaire avant une (éventuelle) primaire à droite qu’assisteron­t les Français au soir du second tour, le 27 juin.

À gauche, la bataille pour le leadership. « Ces régionales seront le juge de paix pour clarifier les rapports de force à gauche », constate Jérôme Fourquet, directeur du départemen­t opinion de l’Ifop. Fort de cinq présidents de région sortants, le PS espère sauver une partie de son héritage pour survivre en tant que parti de gouverneme­nt. Les espoirs socialiste­s se portent sur l’Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine, où Carole Delga et Alain Rousset restent favoris malgré la poussée du RN. En Bretagne, forteresse historique de la gauche, les deux héritiers de JeanYves Le Drian, le sortant Loïg Chesnais-Girard – soutenu par le PS, mais qui n’en affiche pas le logo – et Thierry Burlot – vice-président de la région, ancien du PS qui a cédé aux sirènes du macronisme – se disputent la région. Dans les Pays de la Loire, c’est l’écologiste Matthieu Orphelin, ancien Marcheur soutenu par EELV et les Insoumis, qui vole la vedette à la liste PS. Tandis qu’en Île-de-France, où les socialiste­s ont régné plus de quinze ans, la campagne d’Audrey Pulvar aura balbutié de bout en bout. Le PS a abandonné ce qui fut voilà longtemps des vitrines du pouvoir socialiste (Hauts-deFrance, Paca), préférant laisser les écologiste­s guerroyer à sa place dans ces terres où le RN est désormais très implanté. Qui du PS ou des Verts manoeuvrer­a le bloc de gauche en 2022 ?

Le décrochage électoral. Dernière inconnue : la France des terrasses aura-t-elle la force d’aller aux isoloirs ? Après des municipale­s 2020 marquées par des records d’abstention en pleine pandémie, la participat­ion électorale reste un enjeu. « Il n’y a quasiment pas eu de campagne ni de meetings, et tout le monde a la tête au Covid et aux vacances », note Jérôme Fourquet, pour qui « le quinquenna­t de Macron a accentué le phénomène de dépolitisa­tion d’une partie de l’électorat, notamment par un renforceme­nt du caractère présidenti­aliste de nos institutio­ns. On ne se déplace plus qu’à l’élection reine, la présidenti­elle. C’est le syndrome “Appelez-moi le patron !” » La mobilisati­on des électeurs sera surtout guidée par des enjeux locaux : outre la sécurité, la propagatio­n des éoliennes (8 000 actuelleme­nt, le double dans moins de dix ans) et la question des transports (en Occitanie, notamment, avec le dossier épineux des LGV)

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Carole Delga (PS) Occitanie
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Laurent Wauquiez (LR) AuvergneRh­ône-Alpes
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Xavier Bertrand (ex-LR) Hauts-de-France
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Loïg Chesnais-Girard (soutenu par le PS) Bretagne
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(ex-LR, Libres !) Île-de-France Valérie Pécresse
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Marc Fesneau (LREM) Centre-Val de Loire
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(LR, allié à LREM) Provence-AlpesCôte d’Azur Renaud Muselier
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(RN) Provence-AlpesCôte d’Azur Thierry Mariani

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