Le grand test des régionales
Les régionales et départementales des 20 et 27 juin donneront le coup d’envoi de l’élection reine, la présidentielle. Avant même le premier tour, ces scrutins recelaient déjà quelques leçons politiques.
Les cogitations de Macron. Contre toute attente, le chef de l’État affiche en petit comité une confiance raisonnable. « Il continue de penser que les régionales seront une grande victoire ! » confie, sceptique, un ministre. Faute de pouvoir gagner des régions – à l’exception du Centre-Val de Loire où Marc Fesneau, ministre chargé des Relations avec le Parlement, a ses chances –, Emmanuel Macron compte sur cette élection pour poursuivre son opération de fracturation de la droite, en imposant localement des accords aux Républicains, dans le Grand-Est par exemple. Le président joue gros en Paca : si l’alliance LREM-LR autour de Renaud Muselier permet de battre le favori, Thierry Mariani, il aura sa martingale pour la présidentielle et pourrait convaincre des élus de droite de le rejoindre. Sinon, tout s’effondre. Si le RN remporte une à trois régions, le président ne pourra plus accréditer l’idée qu’il est le rempart idéal contre Marine Le Pen. Pis, si Xavier Bertrand s’impose face au RN dans les Hauts-de-France, Macron aura devant lui un rival revigoré, tout comme Valérie Pécresse en Île-deFrance. Contre eux il a aligné pas moins de dix ministres. Au gouvernement, beaucoup se préparent à un possible remaniement pour constituer une équipe de combat. Qu’adviendra-t-il de Jean Castex si le RN s’empare de la région Sud, alors qu’il s’est personnellement engagé ? Le crédit politique du Premier ministre serait forcément fragilisé. Un fidèle macroniste le
concède : « Si au soir du 27 juin tu as raté ton coup et explosé le Premier ministre, ce n’est pas terrible… »
Le RN en embuscade. Pour le parti de Marine Le Pen, en voie de normalisation, une prise régionale serait hautement symbolique. Dans les sondages, pourtant, rien n’indique une poussée particulière du parti à la flamme. En 2015, déjà, l’ancien Front national était arrivé en tête au premier tour dans six régions, les stars Marion Maréchal et Marine Le Pen dépassant même 40 % en Paca et dans les Hauts-deFrance. Mais la mobilisation d’un solide front républicain au second tour avait balayé tout espoir de victoire. Six ans plus tard, les thèmes portés par le RN se sont popularisés, et la digue paraît plus fragile dans les six régions (encore !) où le parti d’extrême droite est donné en tête. En Paca, le transfuge de l’UMP Thierry Mariani, crédité du même score que Marion Maréchal en 2015, peut l’emporter. En Bourgogne-Franche-Comté, la liste RN menée par Julien Odoul est annoncée en recul par rapport à 2015, mais pourrait s’imposer dans une quadrangulaire, alors que l’union de la gauche a volé en éclats, PS, EELV et LFI défendant aujourd’hui des lignes difficilement conciliables. Même scénario en Centre-Val de Loire, où le RN pourrait sortir vainqueur d’une quadrangulaire serrée, aucune liste ne se détachant réellement.
Si le RN remporte une à trois régions, Emmanuel Macron ne pourra plus accréditer l’idée qu’il est le rempart contre Marine Le Pen.
La vraie primaire de la droite. La bataille des régionales sera déterminante pour l’opposition tant elle pourrait départager les ambitions. Pour les présidentiables putatifs Valérie Pécresse (ex-LR, Libres !) en Île-de-France et Laurent Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes, l’objectif est d’arracher la réélection la plus large possible pour apparaître comme le champion naturel de leur camp et tuer le match. Une stratégie de la « Zapatera » inspirée de Ségolène Royal, qui s’était imposée comme la candidate du PS après sa victoire éclatante aux régionales de 2004 dans sa région
Poitou-Charentes. Ancien ministre de la Santé et seul candidat déclaré, Xavier Bertrand (ex-LR) ambitionne pour sa part d’apparaître comme le meilleur rempart face au RN en écrasant le représentant local de Marine Le Pen, Sébastien Chenu. À moins que ce trio ne se fasse coiffer au poteau par le patron de l’Association des maires de France, François Baroin, qui s’est opportunément affiché en soutien de plusieurs candidats en lice. Le patron de LR, Christian Jacob, ayant annoncé une grande enquête sondagière pour sélectionner le candidat de son parti à l’automne, c’est bien à une primaire avant une (éventuelle) primaire à droite qu’assisteront les Français au soir du second tour, le 27 juin.
À gauche, la bataille pour le leadership. « Ces régionales seront le juge de paix pour clarifier les rapports de force à gauche », constate Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop. Fort de cinq présidents de région sortants, le PS espère sauver une partie de son héritage pour survivre en tant que parti de gouvernement. Les espoirs socialistes se portent sur l’Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine, où Carole Delga et Alain Rousset restent favoris malgré la poussée du RN. En Bretagne, forteresse historique de la gauche, les deux héritiers de JeanYves Le Drian, le sortant Loïg Chesnais-Girard – soutenu par le PS, mais qui n’en affiche pas le logo – et Thierry Burlot – vice-président de la région, ancien du PS qui a cédé aux sirènes du macronisme – se disputent la région. Dans les Pays de la Loire, c’est l’écologiste Matthieu Orphelin, ancien Marcheur soutenu par EELV et les Insoumis, qui vole la vedette à la liste PS. Tandis qu’en Île-de-France, où les socialistes ont régné plus de quinze ans, la campagne d’Audrey Pulvar aura balbutié de bout en bout. Le PS a abandonné ce qui fut voilà longtemps des vitrines du pouvoir socialiste (Hauts-deFrance, Paca), préférant laisser les écologistes guerroyer à sa place dans ces terres où le RN est désormais très implanté. Qui du PS ou des Verts manoeuvrera le bloc de gauche en 2022 ?
Le décrochage électoral. Dernière inconnue : la France des terrasses aura-t-elle la force d’aller aux isoloirs ? Après des municipales 2020 marquées par des records d’abstention en pleine pandémie, la participation électorale reste un enjeu. « Il n’y a quasiment pas eu de campagne ni de meetings, et tout le monde a la tête au Covid et aux vacances », note Jérôme Fourquet, pour qui « le quinquennat de Macron a accentué le phénomène de dépolitisation d’une partie de l’électorat, notamment par un renforcement du caractère présidentialiste de nos institutions. On ne se déplace plus qu’à l’élection reine, la présidentielle. C’est le syndrome “Appelez-moi le patron !” » La mobilisation des électeurs sera surtout guidée par des enjeux locaux : outre la sécurité, la propagation des éoliennes (8 000 actuellement, le double dans moins de dix ans) et la question des transports (en Occitanie, notamment, avec le dossier épineux des LGV)
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