Le Point

Quand les apprentis manquent à l’appel

L’artisanat est en pleine reprise, mais la main-d’oeuvre manque, ou se défile.

- PAR MICHEL REVOL

Chez les bouchers, on appelle ça « l’effet Top Chef ». Les émissions culinaires emballent les jeunes. Ils se précipiten­t dans les filières de la cuisine et de la pâtisserie pour décrocher un job qui semble si séduisant à la télé. Mais la boucherie-charcuteri­e n’a pas son Top Chef ni sa Meilleure Boulangeri­e de France, deux programmes à forte audience diffusés sur M6. Dans les centres de formation d’apprentis, la filière peine à recruter. Il y a pourtant du travail. Confinés, les Français ont cuisiné et redécouver­t les commerces en bas de chez eux. Certaines boucheries-charcuteri­es ont doublé leur chiffre d’affaires durant la crise. Mais il manquerait, selon la profession, près de 5 000 bouchers-charcutier­s en France. À Voiron, dans l’Isère, Pascal Clavel fait tourner sa boutique avec six personnes, alors qu’il lui en faudrait neuf. « J’ai besoin en particulie­r de deux apprentis, mais je n’en trouve pas. » La boucherie-charcuteri­e appartient à ces secteurs « en tension ». Une étude de Rexecode et de la Banque publique d’investisse­ment soulignait que 44 % des PME allaient connaître des difficulté­s à recruter au deuxième trimestre 2021. Portés par la reprise économique, les artisans sont en première ligne. « J’ai du boulot par-dessus la tête, raconte Thierry Toffoli, artisan carreleur dans la région de Toulouse. Pendant la crise sanitaire, les gens ont voulu refaire leur maison, aménager un petit bureau pour le télétravai­l. Mon carnet de commandes est plein jusqu’à la fin de l’année, alors que, d’habitude je n’ai que deux à quatre mois de visibilité. » Mais, comme tant d’autres patrons du bâtiment, il n’arrive pas à recruter. « Les jeunes ne viennent pas dans ces filières, alors je récupère ceux qui n’ont pas été bien formés. »

2 000 euros

C’est le salaire net moyen pour un débutant dans le bâtiment (Capeb).

500 000

C’est le nombre de contrats d’apprentiss­age signés en 2020, d’après le gouverneme­nt.

Thierry Toffoli est dans la situation ■ paradoxale de devoir dire non à des clients en plein boom de son activité. « Le problème, c’est qu’on perd des parts de marché au profit du PVC ou du stratifié, et qu’on risque de disparaîtr­e. » À Pruillé-le-Chétif, près du Mans, Bruno Hatton est tout aussi embêté. Faute de personnel, ce patron d’une PME de quinze salariés, spécialisé­e dans la serrurerie et la métallerie, doit refuser des commandes. La reprise économique du secteur, portée par l’engouement pour les terrasses et les vérandas, ne sera pas aussi soutenue qu’elle aurait pu l’être. « Je passe à côté de 15 à 20 % de chiffre d’affaires à cause de la pénurie de personnel. »

Les métiers manuels n’ont jamais eu une très bonne image dans notre pays. Trop pénibles, trop peu considérés. Après une baisse d’inscriptio­ns continue, les centres de formation d’apprentis (CFA) ont plutôt redressé la barre depuis deux ans grâce à des campagnes de promotion auprès des collégiens et de leurs parents. Ces établissem­ents doivent poursuivre l’effort. Pour séduire de futurs ouvriers du BTP, le CFA de Chartres a fait preuve d’imaginatio­n : il a lancé une applicatio­n pour aider ses élèves à trouver une formation en alternance pas loin de chez eux. « Je l’appelle le Tinder de l’apprentiss­age ! » s’amuse Alain Depras, le directeur du CFA BTP d’Eure-et-Loir.

Mais la cote des métiers de l’artisanat s’est un peu plus effritée avec les confinemen­ts. C’est le constat de plusieurs petits patrons. « Le Covid forme une génération de fainéants, regrette un artisan du BTP qui préfère rester anonyme. Les gens étaient chez eux, ils touchaient de l’argent grâce au chômage partiel, ils ne sortaient plus trop… Regardez dans la restaurati­on, ils ont du mal à trouver des saisonnier­s ! »

Ce sont les métiers les plus pénibles, ou considérés comme tels, qui souffrent le plus. L’autre jour, Jean-Claude Rancurel, artisan plombier à Gigondas, dans le Vaucluse, dîne au restaurant en terrasse. Malgré le couvre-feu, il est tard, près de minuit. Le petit patron demande au jeune serveur pourquoi il préfère travailler à cette heure avancée plutôt qu’exercer un métier plus stable dans une PME. Sa réponse l’étonne. « Il me dit : “Je n’ai pas envie d’être sur un chantier jusqu’à 8 heures du soir”. Vous vous rendez compte, il préfère bosser dans son restaurant jusqu’à minuit plutôt que chez un artisan plombier, où les horaires sont pourtant encadrés ! »

Les boucheries souffrent aussi du manque d’implicatio­n des apprentis. « Elles manquent de salariés parce que ceux qui ne veulent pas travailler le dimanche vont dans la grande distributi­on, et ceux qui ne veulent travailler ni le dimanche ni le samedi s’orientent vers les abattoirs ou les grandes sociétés ! » note Patrick Gimonet, directeur général de la Confédérat­ion française de la boucherie-charcuteri­e.

À La Chapelle-Huon, aux confins de la Sarthe et du Loir-et-Cher, Philippe Lambron râle aussi contre la désaffecti­on pour les métiers manuels. Patron d’une entreprise de couverture-charpente, il recherche en vain deux ouvriers et un apprenti pour satisfaire son carnet de commandes, plein pour douze mois contre six habituelle­ment. Il peste contre « l’assistanat » et les effets pervers du chômage partiel versé durant les confinemen­ts.

Le patron des Charpentes de la Couarde a dû se débrouille­r tout seul pour dénicher un salarié : il a trouvé à Villedieu-leChâteau, un village d’une vallée voisine, un pianiste en pleine reconversi­on. Pendant le confinemen­t, le musicien a décidé de s’orienter vers un travail manuel, sans doute plus sûr à l’avenir qu’une carrière dans un orchestre. Mais l’homme n’a pas voulu démarrer tout de suite sa formation d’apprenti: intermitte­nt du spectacle, il a préféré attendre que ses indemnités arrivent à échéance. Pour cela, il avait interdicti­on de travailler, même en alternance… « Il devait rester chez lui à ne rien faire, alors que j’avais de quoi l’employer ! » s’agace Philippe Lambron, qui attendra donc encore un peu avant de dire oui à de nouvelles commandes…

« Je passe à côté de 15 à 20% de chiffre d’affaires à cause de la pénurie de personnel. » Un patron de PME

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Carreleur en Haute-Garonne
« Les jeunes ne viennent pas dans ces filières. Le résultat, c’est que je perds des parts de marché. » THIERRY TOFFOLI Carreleur en Haute-Garonne
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PASCAL CLAVEL
Boucher dans l’Isère
« J’aurais besoin en particulie­r de deux apprentis, mais je n’en trouve pas. » PASCAL CLAVEL Boucher dans l’Isère

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