Le Point

Après l’accord avec Huawei, Qwant peut encore surprendre

- GUILLAUME GRALLET PAGE DIRIGÉE PAR

On pourrait appeler cela le paradoxe Qwant : si le moteur de recherche né en France répond de mieux en mieux à nos questions, il continue d’en poser. Comment expliquer que le site, utilisé aussi bien par le ministère français des Armées, par les sociétés Safran, Engie et Thalès, ou par le groupe allemand Axel Springer, peine à voir décoller son chiffre d’affaires ? Comment se fait-il que la start-up, citée en exemple dans l’épilogue du documentai­re The Social Dilemma, l’un des cartons de Netflix, ne soit pas encore aussi connu dans le monde que l’américain DuckDuckGo ? Enfin, comment expliquer que cette entreprise de 100 personnes, qui a bénéficié d’un investisse­ment de la Caisse des dépôts et consignati­ons au nom de la souveraine­té numérique française, ait été récemment obligée d’emprunter près de 8 millions d’euros à l’équipement­ier chinois Huawei, alors que Washington et Pékin se livrent une guerre technologi­que ?

Certes, lever des fonds à l’étranger n’est pas une mauvaise chose en soi. D’autant que les liens entre le moteur de recherche né en France en 2013 et le chinois ne datent pas d’hier. « Dès les débuts de l’entreprise, j’ai acheté des serveurs chez Huawei parce qu’ils étaient moins chers et aussi efficaces que ceux de la concurrenc­e. Cela dit, nous les avons hébergés en France, et en aucune manière en Chine. Et, dès que j’en ai acquis, je me suis assuré qu’ils ne contenaien­t aucune porte dérobée », explique au Point Éric Leandri, le cofondateu­r de Qwant. Enfin, ce prêt, qui ne se traduira pas par une montée au capital, permettra sans doute d’installer le moteur de recherche par défaut sur les téléphones Huawei, comme c’est déjà le cas sur le modèle P40 Lite, en France, en Allemagne et en Italie.

Reste le principal reproche fait à Qwant : le recours trop important aux réponses fournies par Bing, le moteur de recherche de Microsoft. « Nous avions mis au point une technologi­e de recherche, mais il fallait la faire mouliner sur des résultats. C’est pour cela que nous avons dû acheter des inventaire­s d’un moteur de recherche, en l’occurrence Bing. Nous devrions en avoir de moins en moins besoin », poursuit Léandri, qui, s’il a quitté toute fonction opérationn­elle, détient toujours 15 % de l’entreprise. « Il est important qu’à terme Qwant contrôle totalement sa technologi­e : c’est une arme d’indépendan­ce massive », estime Jean-Pierre Lach, le créateur du système de visioconfé­rence français Private Discuss. Aujourd’hui, Qwant – qui, sous la houlette de son numéro un, Jean-Claude Ghinozzi, s’est recentré autour de son activité de recherche – espère atteindre un chiffre d’affaires supérieur à ses pertes en 2022. Et à terme, en reprenant progressiv­ement le contrôle de sa régie publicitai­re – encore opérée en partie par Microsoft –, engranger des bénéfices.

« Notre ADN réside aujourd’hui comme hier dans le respect de la vie privée et des données personnell­es des utilisateu­rs. »

Jean-Claude Ghinozzi, PDG de Qwant

Pépinière. Mais surtout, il est nécessaire de passer la vitesse supérieure en matière d’investisse­ment. «À ce stade, une succession d’augmentati­ons de capital de 10 à 20 millions d’euros ne permettra pas de réelle croissance. Il serait préférable de recruter des actionnair­es stratégiqu­es et puissants capables de diffuser Qwant auprès de millions de leurs clients existants. », estime son cofondateu­r, Jean-Manuel Rozan, qui détient toujours 12% de l’entreprise. Cela permettrai­t à Qwantd’investirau­tantqueses­concurrent­s dans la recherche et le développem­ent. Et, espérons-le, de faire mentir la commissair­e européenne à l’Innovation, Mariya Gabriel, qui, appelant à investir dans les technologi­es vertes, expliquait récemment : « Nous ne devrions pas perdre de temps à créer un Google ou un Facebook européen. » En attendant, l’entreprise agit déjà comme une pépinière. En témoigne la création de Babbar.tech, un spécialist­e de l’algorithmi­e de recherche, par l’ancien directeur de la technologi­e maison, Sylvain Peyronnet ■

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 ??  ?? Mariya Gabriel, commissair­e européenne à l’Innovation, juge inappropri­ée la création d’un Google ou d’un Facebook européen.
Mariya Gabriel, commissair­e européenne à l’Innovation, juge inappropri­ée la création d’un Google ou d’un Facebook européen.

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