Mille ans d’art européen
À l’origine, c’était une série de 13 émissions sur l’art réalisées pour la BBC en 1969, apogée de la télé anglaise. Son maître d’oeuvre, Kenneth Clark, la transforma en un livre, prodigieuse épopée qui retrace à haute altitude mille ans d’histoire européenne. On démarre à Ravenne, à l’église San Vitale, que Charlemagne, stupéfié par le faste byzantin, fait répliquer dans son palais d’Aix-la-Chapelle. On enchaîne avec les portes surchargées de sculptures de Vézelay, mises en regard avec Cluny, les figures tourmentées de Moissac et Souillac, les influences grecques de Chartres… La France occupe une place de choix. On y voit sa « douceur de vivre » éclore dans La Dame à la licorne. On apprend ce qui rapproche Descartes des tableaux de Vermeer. On découvre pourquoi le peintre Chardin incarne le goût et ce que Watteau apporte aux relations humaines. On assiste à l’illumination de Rousseau, le « je sens donc je suis » devant le flux et le reflux des vagues du lac de Bienne. Les grands créateurs italiens, allemands, hollandais, anglais infusent aussi dans cette éblouissante fresque. Chaque phrase nous emporte, empreinte d’une culture personnelle puissamment décantée. En fil rouge, une réflexion inquiète sur la civilisation : pour Clark, elle doit exhaler la confiance, la foi dans le droit, l’énergie, le sentiment de permanence. D’où sa grande vulnérabilité, dès lors que ces qualités font défaut.
Civilisation, de Kenneth Clark. Traduit de l’anglais par Guillaume Villeneuve (Nevicata, 288 p., 22 €).