Quand Forster anticipait notre monde confiné
Ils n’ont plus le sens de l’espace. N’ont plus de contacts. Ne voyagent presque plus, car la Terre, grâce aux progrès de la science, est devenue uniforme. Ils sont alimentés dans leurs appartements souterrains par des tubes à nourriture, à médicaments, à musique, orchestrés par la Machine. Si elle tombe en panne, ils consultent le Livre, qui explique sur quel bouton appuyer. Ils vivent reliés au reste du monde par des plaques optiques bleues. Donnent et suivent des conférences en se méfiant des « idées de première main », car l’expérience et l’observation personnelles sont dénigrées au profit de la citation répétée et déformée. Ceux qui ont résisté ont été expulsés par des vomitoires dans la Nature, où le péché mortel est le « sans-abrisme ». Cet univers confiné et mimétique, l’Anglais E. M. Forster l’a inventé en 1909, entre la publication de Chambre avec vue et celle de Howard’s End, deux classiques du roman où le social se mêlait au sentimental. Emblème d’une Angleterre qui s’effrayait déjà d’un monde déshumanisé par la technique, La machine s’arrête imagine Internet, Skype, Zoom et compagnie, mais aussi un fils qui tente d’expliquer à sa mère qu’il a osé s’aventurer dehors sans « permis de sortie ». Cela vous rappelle quelque chose ? Miroir déformant, cauchemar possible, ce bref récit d’anticipation a été republié à la fin du confinement. L’image parfaite de ce que Vincent Cocquebert définit comme La Civilisation du cocon (Arkhé).
La machine s’arrête, d’E. M. Forster. Traduit de l’anglais par Laurie Duhamel (L’Échappée, 112 p., 7 €).