Régionales : et la droite se mit à rêver…
L’après-régionales. Les grandes manoeuvres ont démarré dans l’opposition pour dégager une candidature unique à la présidentielle. Récit en coulisses.
Il en a tant vécu, des soirées électorales, en quarante ans de carrière ! Celle-ci était nimbée de tristesse. Alors que sa famille politique est en liesse en ce dimanche soir de premier tour des élections régionales, marqué par le grand retour de la droite, Nicolas Sarkozy broie du noir. Il songe à son ami, l’avocat Thierry Herzog, victime d’un AVC quelques jours plus tôt dans la salle d’audience du tribunal correctionnel de Paris, où l’ancien président affronte les juges dans l’affaire Bygmalion. Les jours de Thierry Herzog, opéré en urgence, ne sont pas en danger, mais le voilà astreint à de longues semaines de rééducation pour recouvrer toutes ses facultés. Amère soirée. Mais on n’est pas un animal politique hors normes sans garder quelques réflexes. Et l’ancien chef de l’État a eu tôt fait d’analyser les résultats. « La France est à droite, confiait-il à des visiteurs. L’électorat n’a jamais été aussi Républicain. Il cherche avidement un leader. » Oui, mais lequel ? « Dimanche, on a eu l’oxygène. Il ne manque que l’azote : un candidat », résume son ami Brice Hortefeux. Stupéfié par l’abstention « inédite » qui a vu deux électeurs sur trois bouder les urnes, Sarkozy a été plus frappé ■
« Xavier sera le candidat de la droite ! Sarkozy avait réussi l’exploit de tuer Le Pen père, lui a tué Le Pen fille. »
Un soutien de Xavier Bertrand
encore par la déconfiture de la majorité présidentielle : « Le parti au pouvoir qui fait 10 %, c’est du jamais-vu. » L’ironie de l’affaire ne lui a pas échappé. Lors du second tour du 27 juin, son jeune successeur, inscrit au Touquet dans le Pas-de-Calais, devra glisser dans l’urne un bulletin Xavier Bertrand.
Chez les leaders de la droite flotte comme un parfum de revanche. Et si le premier tour des régionales marquait le début de la fin du règne jupitérien? se prennent-ils à rêver après le sacre de leurs présidents sortants de région. « On n’en est pas à danser, mais on installe les lampions ! À ce rythme, l’ancien monde va redevenir le nouveau, et le nouveau l’ancien », espère à voix haute le même Brice Hortefeux. Gare, pourtant, tant le niveau stratosphérique de l’abstention laisse présager une correction au second tour. Ni Xavier Bertrand, ni Laurent Wauquiez, ni Valérie Pécresse n’ont égalé leur score d’il y a six ans, perdant respectivement 12 000, 45 000 et 180 000 voix. L’histoire politique regorge de scrutins victorieux restés sans lendemain. « Il faut être lucide, tempère le député LR du Vaucluse Julien Aubert. Les victoires des régionales de 2015 ne nous ont pas empêchés de planter la présidentielle deux ans plus tard!» Mais les faits sont là : après quatre ans de « et en même temps », les vieux partis, Les Républicains en tête, se cabrent pour dire non aux tentatives d’OPA du président. Certes, il faut se garder d’extrapoler à l’échelle nationale des résultats d’élections locales, qui plus est marquées par une abstention record. Mais la repolarisation gauchedroite serait-elle en marche ?
Clarté. Les électeurs ont donné quitus à des barons ancrés dans leurs territoires. Mais ils ont aussi voulu favoriser la clarté des lignes politiques, là où LREM espérait brouiller le jeu à coups d’alliances à géométrie variable entre les deux tours, ici avec le PS, là avec LR. « La clarté, la droiture, la constance, c’est la mort du “et en même temps” », veut croire un fidèle de Xavier Bertrand.
Dans la compétition qui s’ouvre pour revêtir le maillot de la droite à la présidentielle, le patron des Hauts-de-France, candidat déclaré à l’Élysée depuis son interview au Point fin mars, a-t-il déjà tué le match ? Expert ès communication, il a été le premier à prendre la parole dès 20 h 2, le 20 juin, dans le théâtre Jean-Vilar de sa ville de Saint-Quentin, se targuant d’avoir « desserré pour les briser les mâchoires du Rassemblement national ». Avec plus de 40 % des suffrages, il humilie de 17 points son rival du Rassemblement national, Sébastien Chenu, là où les sondages – à nouveau démentis – le donnaient en grand péril. Lui qui répète qu’il ne se pliera jamais à une primaire organisée par ses anciens pairs de LR espère avoir pris une sérieuse longueur d’avance. « Ça le met en position très confortable. Il avait été élu au ras des moustaches grâce au retrait du PS en 2015. Là, il réussit le grand chelem et peut prendre 15 points dans les sondages pour 2022. Il pourra dire : “Je suis la droite populaire, j’ai fait naître l’espoir, j’ai pris le risque de faire campagne aux régionales en étant candidat à la présidentielle. Force est de constater qu’il a bien joué », concède un ancien ministre de
Nicolas Sarkozy. Chez les « bertrandistes », une douce euphorie plane. « Xavier sera le candidat de la droite ! Sarkozy avait réussi l’exploit de tuer Le Pen père, lui a tué Le Pen fille, proclame, un peu vite, l’un de ses soutiens. Il va falloir que Macron prenne l’habitude de voter Bertrand ! »
Pour s’imposer face à Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez comme le futur champion de son camp, l’ancien ministre de la Santé mise sur la stratégie des dominos. Première étape du plan : rallier la présidente sortante de l’Île-deFrance, qui a rassemblé 36 % des suffrages au premier tour, soit moins que lui en pourcentage. Si elle était réélue dans un mouchoir de poche le 27 juin face à la gauche unie, Bertrand caresserait l’idée de lui proposer un pacte à l’américaine : à elle Matignon, à lui l’Élysée. « La tentation, c’est de dire à Pécresse au lendemain du second tour, si elle est affaiblie : “Viens, faisons un ticket !” Mais Laurent Wauquiez ne laissera pas faire et Bruno Retailleau non plus », décrypte un observateur de l’opposition. Une option que les « pécressistes » écartaient avec virulence au lendemain du premier tour, en réclamant l’organisation à l’automne d’une primaire, pardon, d’un « match amical ». « On n’est pas du tout dans l’idée d’un deal. Rien n’est joué, on va aller chercher les voix une par une », répliquait l’un d’entre eux. « Les régionales ne sont pas la primaire de la droite. Les électeurs ne se sont pas déplacés pour choisir un candidat à la présidentielle », soutient le député LR de l’Essonne Robin Reda, qui se plaît à souligner que Pécresse a récolté 782 800 voix au premier tour – « et j’espère un bon million de voix au second ! » – contre 551 000 voix pour Bertrand et 750 200 pour Wauquiez. « Si elle sort avec un très bon score au second tour, elle ne bougera pas. Si elle passe ric-rac, elle dealera », nuance un ami de Pécresse. Une fois cette étape purement hypothétique passée, les fidèles de « XB », son surnom, pourraient espérer convaincre Wauquiez de se rallier à son tour. Capillotracté ? « Il n’y aura pas de primaire, vous verrez, assène un stratège de Bertrand. Au mois d’avril, le Bayern Munich et le PSG ont refusé que d’autres grands clubs créent une Super Ligue européenne. C’est pareil, la primaire n’aura pas lieu ! Sans Xavier, ce serait ridicule. »
Le vrai obstacle sur sa route, il le sait, s’appelle Laurent Wauquiez. Le président sortant de la région Auvergne-Rhône-Alpes a triomphé au soir du 20 juin avec près de 44 % des voix. Pas mal pour un mort-vivant, que ses adversaires décrivaient carbonisé après sa démission forcée de la direction de LR à la suite du naufrage aux européennes de mai 2019. Non seulement il supplante de 29 points sa première concurrente, l’écolo Fabienne Grébert, mais il se paie le luxe d’arriver en tête dans tous les départements de sa région. «Laurent a fait le meilleur résultat de France en se montrant loyal ■
« On n’est pas du tout dans l’idée d’un deal. » Un proche de Valérie Pécresse
et fidèle à sa famille politique, ■ qu’il n’a jamais quittée, contrairement à Pécresse et Bertrand. Lequel va se retrouver face à une pluralité de candidats alors qu’il était seul en piste depuis mars. Au nom de quoi Bertrand serait-il le candidat le plus légitime ? » relève un « wauquieziste », qui plaide pour un « système de départage ». Ancienne ministre de Sarkozy aux convictions droitières affirmées, Nadine Morano ne juge pas moins crédible une candidature de l’ex-bad boy de la droite. « Quand vous regardez son programme et sa ligne sur la sécurité, l’immigration et l’économie, il va dans le sens de ce que veulent les Français. C’est le seul qui ait cette clarté tout en restant fidèle à sa famille. Si son image était si distordue, il ne ferait pas un tel score dans une grande région comme Auvergne-Rhône-Alpes ! » Mais l’ex-secrétaire d’État à l’Emploi a-t-il envie du job ? Plusieurs de ses partisans l’en ont dissuadé. Tel le vice-président de la région Pascal Pointud, chasseur émérite qui le côtoie depuis sa première élection, au Puy-en-Velay. En janvier, il rejoint Wauquiez dans son bureau à la région. L’ordre du jour : 2022. « Je lui ai dit : “Laurent, un Auvergnat c’est économe. Ce n’est pas la peine de te fracasser contre des gens qui ne t’aiment pas. Tu vas perdre ton temps, ils vont t’exécuter. Attends que Bertrand se prenne le mur de 2022.” Il m’a répondu : “Tu as raison, je ne vois pas ce que j’aurais à gagner.” » Mais, depuis janvier, bien des choses ont changé, et les urnes ont lissé les aspérités… « Cette victoire donne à Laurent un très beau capital politique. Est-ce qu’il souhaite l’utiliser immédiatement ou capitaliser dessus à long terme ? Après le second tour, il faudra en discuter », résume un proche, dépeignant un Wauquiez qui se serait assagi et libéré du démon de l’ambition. «Il a changé. Vous l’avez connu sabre au clair, qui se précipitait sur tout. C’est fini. Il veut faire le meilleur choix. »
Et s’ils donnaient tous raison à Emmanuel Macron, persuadé que ce match finira en pugilat, avec le retour de « la droite la plus bête du monde » et, pourquoi pas, deux candidats qui se neutralisent comme au temps du duel Chirac-Balladur ? « Dès le 27 juin, ça va être la guerre à droite », savoure un conseiller de l’exécutif, qui prépare les stocks de pop-corn. « Ils sont dans l’euphorie, ils pensent que les régionales sont un succès, mais ce n’est que la somme de succès individuels, balaie un familier du chef de l’État, inspiré par l’Euro 2020 de football. Il faut être beau joueur, mais lucide. La droite a cartonné au premier tour, mais est-ce qu’elle va réussir à se mettre d’accord ? Vous imaginez Karim Benzema, Olivier Giroud et Antoine Griezmann s’entendre alors qu’ils jouent dans des clubs étrangers ? »
Diên Biên Phu. Et si les macronistes faisaient fausse route ? Si la droite déjouait ce pronostic en présentant un front uni afin de ne pas voir le pouvoir lui échapper pour la troisième fois consécutive ? En interne, les appels se multiplient pour convaincre les candidats en lice de jouer collectif. Dans les heures qui ont suivi le premier tour des régionales, le président du Sénat, Gérard Larcher, qui plaide pour une « dream team »,a eu au téléphone tous les présidents de région sortants. « Je crois qu’il faut se rassembler, car les Français ne supporteront aucune forme de division. Nous devons trouver collectivement le meilleur candidat capable de nous représenter », abonde le sénateur LR de Vendée Bruno Retailleau, lui-même candidat putatif, qui rêve d’une « équipe de France capable de gouverner ».
Plusieurs préconisent aussi désormais d’accélérer la manoeuvre pour surfer sur la vague des régionales. Pour l’heure, la méthode imaginée par le patron de LR Christian Jacob prévoit deux enquêtes d’opinion – rebaptisées pudiquement « études qualitatives » ce lundi après la nouvelle déroute des sondeurs – les 20 septembre et 20 octobre et, si le match n’est pas plié, un système de primaire à définir. Tard, trop tard ? Un proche de Laurent Wauquiez, lucide, espère que l’affaire sera prestement menée : « Emmanuel Macron et Marine Le Pen sont déjà en campagne, et on resterait cinq mois dans la tranchée, sans munitions, à se prendre des obus sur la tête? Ce n’est plus une tranchée, c’est la poche de Diên Biên Phu ! » ■
« Macron et Le Pen sont déjà en campagne, et on resterait cinq mois dans la tranchée, sans munitions ? » Un proche de Wauquiez