Exposition : explosion d’émotions sous le ciel de Bretagne
À Rennes, cent chefs-d’oeuvre en noir et en blanc et autant d’expériences radicales.
Et à nouveau notre coeur s’arrête de battre. Comme le 9 juillet 2006 à l’Olympiastadion de Berlin, et comme celui de 2 milliards d’humains ce jour-là. Un simple coup de tête, celui de Zidane à Materazzi ? Non. Une variation sportive de l’Iliade et en mondovision : chante, ô muse, la colère de Zidane. Un Achille des pelouses, exaspéré par cet Agamemnon en short qui l’agresse verbalement, comme chez Homère. Et voilà qu’il sort de ses gonds la tête en avant, dans un sursaut d’orgueil, d’hybris. Duel en trois dimensions, transformé par l’artiste Adel Abdessemed en monument de la défaite gorgé de force tragique. Tous les détails de l’instant fatal sont là, jusqu’aux veines saillantes sur les tempes des joueurs. Le crâne de Zidane aux pieds agiles ne l’a pas encore touché que l’Italien déjà crie et saute pour exagérer l’impact. La preuve par l’art : les terrains de jeu sont des champs de bataille et ce Coup de tête un clash homérique. Le bronze de plus de 5 mètres de hauteur, antique et contemporain, avait régné sur la piazza du Centre Pompidou lors d’une exposition nommée espièglement « Je suis innocent ». Et voilà qu’il surgit en Bretagne, menhir anthropomorphique d’un noir brillant, planté dans la terre rennaise en pièce maîtresse de l’exposition de la collection Pinault (propriétaire du Point) « Au-delà de la couleur », qui se tient tout l’été au couvent des Jacobins.
Un pari audacieux de Jean-Jacques Aillagon, directeur général de Pinault Collection et commissaire de l’exposition, qui a choisi de rassembler une centaine de chefs-d’oeuvre de la collection, créés par 57 artistes, français et étrangers, et dans tous les médiums (sculpture, vidéo, dessin,
photographie, et même mode) à condition qu’ils soient en noir ou en blanc. Le résultat est impressionnant. Car « bien que le noir et le blanc ne soient pas à proprement parler des couleurs, selon la théorie de Newton, explique Jean-Jacques Aillagon, leur utilisation par les artistes modernes et contemporains a souvent été associée à des expériences radicales ». Les visiteurs sont invités à les revivre au gré des salles, dans, et tout autour, de l’ancien cloître où ils méditeront devant les terrifiants gisants (aux corps qu’on devine très malmenés sous leur drap de marbre) de Maurizio Cattelan, le voluptueux et très tactile « avant-baiser » sculpté par Jeff Koons, les jeux ascétiques de Dan Flavin ou François Morellet, la saisissante évasion de femmes – silhouettes obscures courant vers l’écume – dans l’émouvante vidéo de l’Iranienne Shirin Neshat ou les expérimentations des puissants révélateurs de lumière que sont Robert Ryman ou Antoni Tapies. En gardant toujours à l’esprit, bien entendu, que le noir et le blanc sont aussi les deux «couleurs» de la bannière de Bretagne, le fameux Gwenn ha Du, et ça ne compte pas pour rien, ici…
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