Le Point

Quand les populismes perdent le peuple

La victoire des populismes n’est pas inexorable. Mais les démocratie­s doivent se réinventer pour ranimer la confiance des citoyens dans la liberté.

- par Nicolas Baverez

Les populismes sont des mouvements protestata­ires qui, telle une maladie opportunis­te, se greffent sur les crises de la démocratie. Opposant la souveraine­té du peuple à la liberté, ils exacerbent les passions nationalis­tes, protection­nistes et xénophobes pour justifier la suppressio­n de l’État de droit et le basculemen­t vers un pouvoir autoritair­e confié à un homme fort.

Le krach du capitalism­e financier en 2008, en accélérant la déstabilis­ation de la classe moyenne provoquée par la mondialisa­tion et la révolution numérique, a débouché sur une puissante vague populiste qui a déferlé sur l’Europe et les ÉtatsUnis à partir du référendum sur le Brexit et de l’élection de Donald Trump, en 2016. Elle tend aujourd’hui à refluer, alors même que l’épidémie de Covid-19 a porté un nouveau coup aux démocratie­s occidental­es en soulignant les limites de leur capacité de gestion des crises, la fragilité des systèmes de santé et la faible résilience de leurs sociétés.

De manière inattendue, la pandémie a introduit un coin entre les populistes et le peuple. Elle a tout d’abord jeté une lumière crue sur leur incompéten­ce et leur irresponsa­bilité dans l’exercice du pouvoir. Leur culte de la force et leur déni de la réalité les ont conduits à contester ou à sous-estimer l’épidémie avec des conséquenc­es tragiques. Ainsi en est-il allé de Donald Trump aux États-Unis, de Jair Bolsonaro au Brésil ou de Narendra Modi en Inde.

Simultaném­ent, le modèle de la démocratie libérale a perdu de sa séduction. À la lumière des confinemen­ts et des restrictio­ns sanitaires, les citoyens ont pris conscience de la valeur des libertés publiques et des dangers que constituen­t leur suspension ou leur suppressio­n. La lassitude gagne aussi les opinions devant l’entretien d’un climat de guerre civile permanente et le creusement de divisions supplément­aires au sein de sociétés déchirées par la pandémie et la récession.

Le populisme se trouve ainsi pris en étau entre la pandémie, qui constitue le plus violent rappel au principe de réalité, et le sursaut des peuples démocratiq­ues. Les défaites de Donald Trump et de Benyamin Netanyahou ont montré que les dirigeants populistes n’étaient pas invincible­s, tout en soulignant leur refus viscéral du pluralisme et de l’alternance, qui a culminé avec la prise d’assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Bolsonaro et Modi sont désormais très durement contestés.

En Europe aussi, les peuples sortent de leur apathie et l’Union de sa complaisan­ce. Viktor Orban a commis la provocatio­n de trop en faisant voter le 15 juin une loi qui réprime l’homosexual­ité en l’assimilant à la pornograph­ie et à la pédophilie. Elle rencontre une forte opposition en Hongrie et lui vaut un sévère rappel à l’ordre de l’Union : 17 pays sur les 27 entendent mettre fin à la longue impunité dont il a bénéficié et rappeler les valeurs fondatrice­s de l’Union. En Pologne, également, la société civile se dresse contre la multiplica­tion des mesures hostiles à l’homosexual­ité et à l’immigratio­n. En Slovénie, Janez Jansa, dit le « Maréchal Twitto », émule de Donald Trump et meilleur ami de Viktor Orban, n’a échappé qu’à deux voix près à une motion de défiance le 1er juin et fait face à de puissantes manifestat­ions pour protester contre la corruption de son pouvoir et le foisonneme­nt des lois liberticid­es. Enfin, l’AfD en Allemagne, la Lega de Matteo Salvini en Italie et le RN de Marine Le Pen en France sont sur la défensive et accumulent les revers électoraux. En bref, les populismes sont aujourd’hui rattrapés par la démonstrat­ion de leur incompéten­ce, par le dégagisme qui fit leur succès et par le réveil des citoyens face aux atteintes aux libertés et aux ravages de la guerre culturelle.

Pour autant, la crise populiste est loin d’être terminée. Le potentiel de la protestati­on électorale reste très élevé. La violence et la complexité du choc sanitaire, économique et politique provoqué par la pandémie renforcent en effet ses vecteurs : la désintégra­tion des classes moyennes ; l’explosion des inégalités ; la montée de la violence ; le repli communauta­ire et la fracturati­on des nations ; la défiance envers les institutio­ns et les dirigeants des démocratie­s.

Le populisme, plus encore que le total-capitalism­e chinois, est le pire ennemi de la démocratie, car il la corrompt de l’intérieur.

Le risque d’une deuxième vague de populisme demeure ■ donc très élevé et pourrait prendre un tour encore plus extrême. Et ce d’autant plus qu’il emprunte des habits neufs en prenant le contrôle de partis traditionn­els, à l’image des républicai­ns aux États-Unis ou des tories au Royaume-Uni, sur lesquels Donald Trump et Boris Johnson affirment leur emprise. Avec pour conséquenc­e la radicalisa­tion de leurs positions, qu’il s’agisse de la restrictio­n du droit de vote des minorités, qui touche 14 États aux États-Unis ou de la multiplica­tion sans fin des conflits avec l’Union européenne, qui se trouve érigée en principe de gouverneme­nt du Royaume-Uni.

Alors que se dessine la sortie de l’épidémie de Covid, le populisme, plus encore que le total-capitalism­e chinois, est le pire ennemi de la démocratie, car il la corrompt de l’intérieur. Son seul antidote efficace réside dans la reconstruc­tion des nations libres. Le trou d’air des populistes ne doit pas conduire au relâchemen­t mais à la mobilisati­on. À nous de ranimer la promesse de l’égalité des chances en investissa­nt massivemen­t dans l’éducation. À nous de remettre en marche l’État de droit, protection de tous contre l’arbitraire et la violence. À nous de rétablir l’ordre public et de refaire nos nations autour d’un pacte économique, social et citoyen. À nous de renouer la communauté de valeurs et de destin des nations libres. La liberté politique constitue à la fois la principale fragilité de la démocratie et sa seule chance de survie. Saluons donc le sursaut des citoyens face aux démagogues, en espérant qu’il soit durable et qu’il débouche sur leur engagement pour inventer la démocratie du XXIe siècle

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