Le Point

Believe connaît la chanson

Crescendo. Spécialist­e de la distributi­on numérique, la licorne française taille des croupières aux majors de la musique. Enquête sur le nouveau label de Jul, d’Arthur H et de Björk.

- PAR OLIVIER UBERTALLI

Tous aux abris ! L’ouragan Jul est de retour. YouTube, Spotify, Deezer, Apple Music, Amazon… Impossible d’échapper au dernier (et 15e) album du rappeur marseillai­s, Demain ça ira. Il est la nouvelle idole des jeunes. S’il cartonne avec son flow vitupérant, c’est qu’il a derrière lui le plus grand spécialist­e de la distributi­on numérique : Believe. La maison de disques française sait distiller au compte-gouttes ses clips vidéo et ses singles sur les réseaux sociaux. « Les audiences de Jul sont surtout numériques, et on sait nettement mieux les monétiser que les acteurs traditionn­els. Cela explique qu’il soit sous contrat avec nous jusqu’en 2035 », se réjouit Denis Ladegaille­rie, le PDG de Believe. L’homme, qui ressemble à l’acteur Robin Williams, reçoit dans la salle où il signe les contrats des «top artistes» au milieu des disques d’or et de platine des rappeurs PNL, Djadja & Dinaz et Jul, dans un immeuble perché au-dessus du périphériq­ue parisien, près du marché aux puces de Saint-Ouen. Vous ne connaissez pas Jul ? « En France, c’est le deuxième plus gros vendeur de disques des années 2010-2020 derrière Johnny Hallyday à Universal Music », souligne Denis Ladegaille­rie, désormais habitué aux victoires de la musique. « La différence, c’est que Johnny était salarié. Jul, lui, est entreprene­ur ! » En effet, il enregistre et produit sa musique, distribuée par Believe.

Avec Jeanne Added, Vianney ou Youssoupha, le Marseillai­s fait partie des stars du distribute­ur français. Ce dernier a avalé de nombreux labels indépendan­ts et séduit des artistes souvent sans contrat et entreprene­urs dans l’âme. Il y a la cantatrice Barbara Hendricks, qui, dès 2007, dans la foulée de Radiohead, propose de télécharge­r son album sur Internet en payant ce qu’on veut. Ou Björk, qui dévoile sur YouTube, en 2015, un clip à 360 degrés où l’on peut se déplacer dans l’image.

La particular­ité du distribute­ur est sa stratégie presque à 100 % numérique, les ventes physiques de CD et vinyles restant marginales. Partout dans le monde, il excelle pour positionne­r et référencer ses artistes locaux sur les plateforme­s musicales telles que Spotify et Deezer. Leurs algorithme­s n’ont plus de secret pour l’entreprise, qui travaille avec l’Institut de recherche et coordinati­on acoustique/musique (Ircam). Elle dispose d’une armada de jeunes geeks qui analysent les données des utilisateu­rs. «On sait exactement ce qui marche sur tel ou tel marché, à partir de quelle seconde un auditeur décroche, et on peut désormais capter l’humeur d’un morceau pour mieux le classer dans une playlist », précise le patron.

Après vingt-cinq ans de carrière, Arthur H, le fils de Jacques Higelin, a quitté la major Universal pour rejoindre Believe, avec lequel il a publié en 2017 un double album, Amour chien fou. « Je me sentais coincé dans une grosse machine d’où la fraîcheur et la créativité semblaient s’être évaporées. À Believe, les gens ont une approche plus directe et pragmatiqu­e. Ils ont anticipé ce mouvement de fond de l’industrie musicale où les artistes ont soif d’indépendan­ce et veulent d’abord

un bon compagnon. » Arthur H a bénéficié d’une campagne de pochoirs sauvages dans Paris pour la promotion de son disque. «Jamais personne n’aurait eu cette idée chez les majors, qui ressemblen­t à des États très hiérarchiq­ues. Face à elles, Believe est un dynamiteur, l’Uber de la musique. »

Classe moyenne. Progressiv­ement, celle qui se présente comme « la maison de disques digitale du XXIe siècle » a taillé des croupières aux trois majors : Universal – le leader en cours de scission d'avec Vivendi –, Sony et Warner. S’il reste loin derrière eux en termes de chiffres d’affaires (441 millions d’euros l’année dernière), Believe a séduit plus de 850 000 artistes, dont des milliers d’amateurs, dans plus de 50 pays. Le label pèserait environ 10 % du marché mondial du streaming musical, autrement dit l’écoute en ligne. Jul et les autres célébrités sont la partie visible de l’iceberg, le haut d’une pyramide dont la base s’élargit à vive allure. « Tout le monde peut percer grâce au numérique. Aujourd’hui, il y a 80 000 artistes qui vivent vraiment de leur musique dans le monde. D’ici à 2030, ils seront 1 million », explique Denis Ladegaille­rie. Rien qu’en France, les 200 meilleurs artistes ne captent plus que 25% du marché aujourd’hui, contre 80% autrefois. On assiste ainsi à l’ émergence d’une classe moyenne d’artistes, même s’il faut des milliers de streams pour gagner de l’argent.

Le label différenci­e ses offres en fonction de la notoriété et fait miroiter un meilleur partage des recettes. Pour les « top artistes » qu’il accompagne dans la distributi­on, le marketing et parfois l’organisati­on de concerts, il partage à 50-50 les revenus (contre environ 70-30 autrefois en faveur d’une major). Pour les artistes amateurs, la société propose sa solution TuneCore moyennant un abonnement de 30 euros par an, qui leur permet de toucher 100 % des royalties et de rendre leur album disponible sur toutes les plateforme­s de streaming musical. En quelques années, Believe s’est imposé comme leur premier fournisseu­r : 20 millions de ses titres s’écoutent sur les plateforme­s, sur un total de 80 millions. Cela signifie qu’un quart de la musique numérique actuelle est signée Believe ! Universal Music, la maison de Lady Gaga, de Taylor Swift et des Beatles, n’aurait que 2 millions de titres disponible­s en streaming.

Le merci de Macron. Après avoir refusé des offres de Sony et de fonds d’investisse­ment alléchés par le secteur – comme le montre la valorisati­on d’Universal à 35 milliards d’euros –, la société du Next 40 a préféré s’introduire en Bourse. Le 10 juin dernier, elle a choisi Euronext Paris plutôt que le Nasdaq et levé plus de 300 millions d’euros pour des acquisitio­ns ciblées. « On est un groupe mondial avec un ADN français, et l’Europe va devenir le deuxième marché musical après l’Asie. Paris, c’est au milieu, l’endroit où il faut être », justifie Denis Ladegaille­rie. Pour cet acte patriotiqu­e, le PDG a été remercié par le président de la République à VivaTech, la

« Believe est un dynamiteur, l’Uber de la musique. » Arthur H, auteur-compositeu­r-interprète

grand-messe du numérique, dont l’édition 2021 s’est tenue en présentiel porte de Versailles mi-juin. Après une tape dans le dos et un salut du poing, Emmanuel Macron a insisté devant 400 personnes : «Merci, car avec votre introducti­on en Bourse vous donnez de la crédibilit­é au secteur tech français et créez une dynamique positive. »

La partie n’était pas gagnée pour l’ancienne start-up, qui emploie désormais près de 1 300 personnes et est valorisée 1,5 milliard d’euros. Rembobinon­s la cassette au début des années 2000. Le télécharge­ment illégal de musique via Napster fait rage. Le service d’Apple iTunes s’apprête à se lancer. YouTube n’existe pas encore. Ancien avocat d’affaires, Denis Ladegaille­rie travaille en Californie pour le Vivendi de Jean-Marie Messier, alias « J2M ». « Le groupe possède alors la société MP3.com, et je me rends compte que des artistes du fin fond du Texas non signés font plus d’écoutes sur le site que certaines stars », se souvient-il. Après un accident de kitesurf, le Français rentre à Paris. Avec deux amis, il planche le soir dans son appartemen­t de la rue La Fayette, sur la table en verre et bois du salon – elle trône encore au siège de Believe. «Les artistes nous donnaient leur musique, qu’on transforma­it en fichiers numériques sur mon ordinateur, en renseignan­t les métadonnée­s des chansons», poursuit le patron. Son premier coup ? Une compilatio­n de chanteurs inconnus vendue uniquement sur Internet. Cachet : 30 euros… Believe croîtra ensuite avec le décollage du numérique. À Paris, l’entreprise, qui loue deux étages au siège du Parti communiste, conçu par Oscar Niemeyer, où fusent les « Bonjour, camarade ! », déménage en 2020 porte de Saint-Ouen, dans un immeuble aux grandes baies vitrées.

« Denis Ladegaille­rie a un logiciel très start-up. En 2005, le numérique pesait zéro. Il n’y avait que le piratage. C’était risqué d’y aller. Au final, sa prédiction s’est avérée juste », salue Stephan Bourdoisea­u, fondateur du label indépendan­t Wagram Music. « J’étais convaincu que

En France, on ne compte encore que 12 millions d’utilisateu­rs payant un abonnement aux plateforme­s de streaming.

 ??  ?? Son numérique. Denis Ladegaille­rie, le PDG de Believe, fin juin, au siège de sa maison de disques. Le pro de la musique numérique « a un logiciel très start-up. En 2005, le numérique pesait zéro. Il n’y avait que le piratage. C’était risqué d’y aller », affirme Stephan Bourdoisea­u, fondateur de Wagram Music.
Son numérique. Denis Ladegaille­rie, le PDG de Believe, fin juin, au siège de sa maison de disques. Le pro de la musique numérique « a un logiciel très start-up. En 2005, le numérique pesait zéro. Il n’y avait que le piratage. C’était risqué d’y aller », affirme Stephan Bourdoisea­u, fondateur de Wagram Music.
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 ??  ?? Djadja & Dinaz (France)
Djadja & Dinaz (France)
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Jul (France)
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Los Dos Carnales (Mexique)
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Miyagi & Andy Panda (Russie)
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Scriptonit­e (Russie)

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